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vie privée, estimé, honoré et connu pour ses vues libérales. Les révolutions de 1848 le ramenèrent sur la scène. Un moment il fut chargé par Charles-Albert d’aller gouverner Venise lors de l’annexion des états vénitiens au royaume éphémère de la Haute-Italie. Sa place était marquée au sénat dès la formation de ce corps. Il prenait part à toutes les discussions avec un grand bon sens. Par une sorte de tradition piémontaise, le marquis Colli aimait à s’occuper particulièrement de l’armée et des finances, parce que la il voyait les deux élémens par lesquels son pays a grandi. Du reste, en étant très modéré et très conservateur, il était franchement constitutionnel. « Les deux camps ont déployé leur drapeau, disait-il un jour en traçant la situation du Piémont. Sur l’un de ces drapeaux, il y a monarchie constitutionnelle, progrès, ordre, économie, le statut, rien de plus, rien de moins ; sur l’autre on peut lire : développement des libertés accordées par le statut, réformes indéfinies, théories, illusions. » En définitive, c’est toujours entre ces deux politiques qu’il faut choisir, et toutes les deux sont connues par leurs fruits.

L’Espagne semble destinée à parcourir le cercle de toutes les épreuves avant de revenir à un ordre constitutionnel et régulier. Les événemens qui viennent d’effrayer et d’ensanglanter les provinces de la Castille sont certainement les plus sérieux qui se soient accomplis depuis deux ans ; ils jettent un trait de lumière sur la situation de la Péninsule, situation qui ne cesse de s’aggraver, tandis que des cortès impuissantes suspendent leur session, ajournant ainsi une fois de plus l’époque où le pays sera replacé sous un régime légal et stable. C’est au moment où l’assemblée allait interrompre ses travaux que l’insurrection a éclaté. Les événemens ont commencé à Valladolid, et ils ont commencé d’une façon terrible, par l’incendie des magasins de farine et des dépôts de grains. Des propriétés particulières, qui avaient été soigneusement marquées d’avance d’une croix rouge, ont été livrées aux flammes. Il a suffi de quelques instans d’indécision de la part des autorités de la ville pour laisser s’accomplir ces violences de la multitude. Ce n’est point, à proprement parler, une insurrection politique ; c’est un soulèvement des plus basses et des plus aveugles passions populaires poussées tout simplement à l’assaut du foyer domestique et de la propriété privée. Quelques-uns des négocians les plus marquans de Valladolid on vu leurs maisons sac cagées et pillées. Il y a eu peu d’attaqués contre les personnes ; au premier instant cependant, le gouverneur civil, qui a joué un assez triste rôle, a été assez sérieusement blessé et a risqué d’être jeté dans le canal de Castille. Ce complot, du reste, paraissait avoir des ramifications étendues. Les mêmes excès se sont produits presque simultanément à Palencia, à Rio-Seco, et partout avec un caractère identique de fureur dévastatrice. Ces événemens ont profondément remué les contrées où ils ont éclaté et ont causé une vive impression dans toute l’Espagne. Ils ont été suivis d’une répression aussi prompte que terrible. Des conseils de guerre, ont été formés pour juger les incendiaires, dont quelques-uns ont été passés par les armes ; des femmes même ont été fusillées. Par malheur ce n’est pas sur un point seulement que l’agitation règne aujourd’hui en Espagne. Des scènes de désordre ont eu lieu récemment à Badajoz. Dans diverses provinces, notamment dans la