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cée, il y a deux ans, par M. Cousin, quand il montrait le christianisme et la philosophie spiritualiste se complétant, se prêtant un mutuel appui et marchant au même but. C’est avec ces deux lumières qu’on rentre dans la vérité.

L’esprit de notre siècle est arrivé à un point où il sent faiblir l’ardeur de ses premiers entraînemens sans savoir sous quel souffle il se ranimera, et il souffre d’autant plus qu’il a la conscience de son mal. Bien des chimères qui l’ont enivré peuvent le troubler encore ; elles ne le satisfont pas. Une chose est certaine : il y a dans la philosophie des systèmes épuisés qui ne font plus même illusion. Il y a dans la littérature des doctrines qui appauvrissent, énervent ou matérialisent l’imagination, au lieu de renouveler et de féconder sa sève. Il y a dans la poésie des inspirations qui ont fait leur temps, et qui ne semblent jamais plus vieilles que lorsqu’on veut leur donner encore un air de jeunesse. La poésie, quelle qu’elle soit désormais, gardera du travail des écoles contemporaines la souplesse et la variété des formes, une certaine liberté de tout exprimer ; il lui manque de retrouver la source profonde où elle ira se retremper et rajeunir son inspiration morale. M. Laurent Pichat croit être du parti de la jeunesse et de l’avenir dans ses Chroniques rimées, quand il ne fait que continuer obstinément une tradition usée, en y ajoutant un certain lyrisme démocratique et humanitaire. Ses légendes de la Belle Florippes, du Champ de Montolieu, sont des ballades qui auraient eu peut-être du succès il y a trente ans ; sa Chronique de Jacques Bonhomme est un chant de l’épopée humanitaire. Les fragmens que l’auteur réunit sous le titre collectif d’Heures de Patience peignent les fluctuations et les troubles d’une imagination plus ardente que maîtresse d’elle-même. Ce n’est pas que dans cette ardeur il n’y ait un souffle généreux. M. Laurent Pichat est un esprit intrépide qui s’agite extrêmement : il croit, il veut croire, et il a même la croyance assez turbulente ; seulement quel est l’objet de sa foi ? là commence l’obscurité. L’auteur des Chroniques rimées croit à l’idée, au progrès, à la trinité démocratique ; il veille avec son siècle pour attendre l’avenir. Il est convaincu qu’il suffit de marcher pour aller en avant, ce qui n’est pas toujours exact. Son Jacques Bonhomme est un personnage assez connu. Il est bien clair que seul il existe en France ; s’il n’était là, la patrie serait envahie et vendue. Les riches n’apparaissent autour de lui que sous la forme d’un usurier cupide ; le curé ne vient à son chevet que pour lui arracher une confession assez ridicule ; en un mot, le héros de M. Laurent Pichat n’est point le vrai peuple des campagnes : c’est un Jacques Bonhomme démocratique, chose très différente. L’auteur des Chroniques rimées a la bonne foi d’avouer dans sa préface qu’il n’est pas toujours sûr de la rectitude de son jugement. Après cela, est-ce donc la peine de prendre une attitude d’apôtre, et de donner comme un chant de l’épopée future une légende marquée à une effigie devenue vulgaire ? Non, la poésie n’est point une arme de parti ou de secte ; elle ne vit pas des lueurs factices des polémiques enflammées ou des ardeurs vagues conçues dans la surexcitation ; elle ne puise qu’aux sources les plus profondes et les plus inaltérables de l’âme humaine.

La poésie est bien plutôt là où va la chercher M. Joseph Autran, l’auteur des chants de la Vie rurale. Lorsqu’un siècle a subi les grandes épreuves,