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importans de cette œuvre d’un musicien distingué, dont le mérite réel serait plus connu, si M. Nicou-Choron avait moins de réserve et de dignité dans le caractère.

Ce n’est point à M. Vivier, le célèbre corniste, qu’on pourra jamais reprocher ces vains scrupules à l’endroit de la publicité et de cet art de la mise en scène qui tient une si grande place dans l’histoire des virtuoses contemporains. Homme d’esprit et parfaitement de son temps, M. Vivier a compris que la modestie est le partage des imbéciles, qui, en se confiant à la Providence comme les petits des passereaux, s’en vont mourir à l’hôpital ignorés des vivans et de l’avenir. Aussi ; après MM. Liszt et Berlioz, qui sont les maîtres reconnus dans l’art de multiplier les échos qui répètent leurs noms, M. Vivier peut-il revendiquer la première place et s’écrier avec une audace légitime : Anch’io son pittore ! D’où vient M. Vivier, et qu’est-il enfin ?

Mortel, ange ou démon ?…


Il vient de la Corse, où le ciel l’a fait naître il y a trente-cinq ans, et il peut tout ce qu’il veut, danser, nager, siffler, composer, écrire, et casser des noisettes avec son pouce. « Compositeur de génie, musicien de premier ordre, il chante avec un goût exquis, joue admirablement du violon et ne dédaigne pas la guitare. La nature a été si prodigue envers lui qu’il a tous les modes d’expression à son service : le cor, le violon, le piano, la voix, la mimique. Son gosier est aussi flexible que son oreille est fine. De plus, c’est un homme d’un esprit charmant, soudain, prime-sautier, d’un tact exquis, aussi vif que hardi, toujours vivant et toujours amusant. Vous avouerez qu’il n’en faut pas davantage pour plaire, et que l’on serait recherché à moins. » Nous sommes ici de l’avis du savant biographe à qui nous empruntons ces précieux renseignemens sur l’organisation extraordinaire de M. Vivier, qui, après cela, a bien de la bonté de borner son ambition à la gloire d’un simple exécutant ! Quoi qu’il en soit de ces plaisanteries, le talent de M. Vivier sur le cor est aussi incontestable que vraiment original. Il tire un parti merveilleux de cet instrument difficile et si borné dans son échelle. Sous la pression de ses lèvres vigoureuses, les sons bouchés ont presque autant d’éclat que les sons ouverts, qui sont d’une douceur pleine de charme. Il chante sur le cor comme pourrait le faire une voix émue, et il en tire des accens qui révèlent un sentiment exquis de l’art. Peut-être préférons-nous ces effets simples à cette joyeuse fanfare que M. Vivier a intitulée la Chasse, où quatre sons simultanés se font entendre à la fois, en communiquant à l’oreille la sensation complexe d’un morceau à quatre parties réelles ! Nous croyons bien les avoir entendus, ces quatre sons formant un accord de septième dominante à son second renversement, si, mi, sol, ré, sans cependant pouvoir en répondre sur notre tête ! La nature entière est pleine de mystères, et, comme on dit vulgairement, il n’y a que la foi qui sauve. Quant aux compositions légères de M. Vivier, sans justifier précisément la qualification de musicien de génie que lui accorde avec enthousiasme son récent biographe, elles ne sont pas à dédaigner, et concourent à donner l’idée d’un