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compositions qu’il nous a fait entendre. Il procède tantôt de Mayseder, comme dans son quatuor pour instrumens à corde qui remplissait le troisième numéro de son programme, et tantôt il se rapproche de la manière de Beethoven, génie redoutable qui porte malheur à tous ceux qui veulent l’imiter. M. Reichel ne manque pas d’idées, mais il ne les développe pas suffisamment, ce qui est indispensable pour la musique instrumentale. M. François Gernsheim, autre pianiste allemand, qui compte à peine quinze printemps, s’est produit pour la première fois à Paris dans un concert à grand orchestre le 9 mai. Après avoir exécuté d’une manière très brillante le concerto en sol mineur pour piano et orchestre de Mendelssohn, il s’est placé lui-même à la tête de ses quarante musiciens et a conduit bravement l’exécution de plusieurs morceaux de sa composition qui prouvent qu’il a fait de bonnes études, et qu’il peut prétendre à la palme immortelle, si son astre en naissant l’a formé poète

Il serait injuste d’oublier Mlle Marie Darjou, jeune et jolie personne, élève de M. Prudent, qui a donné cette année deux concerts qui ont eu du retentissement. Le jeu de Mlle Darjou, qui ne manque pas d’élégance, est un peu froid et entaché d’une certaine préciosité qui est le côté faible de l’école française. Nous engageons Mlle Darjou à se préoccuper de ces petits défauts, qui pourraient entraver sa carrière en l’empêchant de développer des qualités de meilleur aloi. — La famille Brousil est une charmante couvée de musiciens éclos dans la ville de Prague. Composée de trois jeunes filles et de trois garçons qui s’échelonnent comme des tuyaux d’orgue, cette famille de vrais Bohèmes s’est produite dans une matinée musicale, où elle a étonné, charmé et intéressé l’auditoire, il fallait voir surtout le jeune Aloys, petit violoniste de sept ans, conduisant son quatuor avec une maestria et un sérieux qui ont excité l’hilarité générale. Sa sœur, Bertha, qui a tout au plus quatorze ans, possède déjà un talent dont pourraient se contenter bien des violonistes célèbres. — Pour être complètement exact dans l’énumération des concerts qui ont mérité de fixer l’attention de la critique, nous citerons encore celui de M. Zompi, pianiste qui ne manque pas de brio, de M. Alary, où M. Mario a chanté en français la scène aux enfers d’Orphée de Gluck, et celui de M. Bessem, professeur distingué, qui, tous les ans, ouvre une chapelle ardente au culte de Boccherini, d’Haydn, de Mozart et de Beethoven, qu’il comprend et enseigne si bien.

Dans quelle catégorie faut-il ranger les deux soirées musicales données par M. Delsarte dans la salle de M. Herz ? Si nous prenions le titre de ses programmes, ce seraient des concerts historiques que M. Delsarte aurait voulu instituer, renouvelant l’idée de M. Fétis, qui à son tour avait imité et fécondé l’exemple donné par Choron, notre maître. Sans nous montrer toutefois trop difficile sur la qualification que M. Delsarte donne à ses fêtes intéressantes, nous ne pouvons cependant lui passer la liberté grande qu’il prend d’attribuer à de saints personnages des lambeaux de mélodies dont on ne connaît pas l’origine certaine. Ce peut être une pieuse tradition de l’église de croire que l’hymne Creator alme soit de saint Ambroise, ou que celle de Lucis Creator puisse être attribuée au pape saint Grégoire ; mais aucun document historique ne le prouve. D’ailleurs est-il permis à un artiste