Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/443

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sol mineur de Bach, le grand créateur de la musique d’orgue, qui convient surtout au talent vigoureux, mais un peu sec, de M. Lemmens. — M. Emile Prudent, qui depuis un ou deux ans semble vouloir se retirer sous sa lente et laisser le champ libre à de jeunes émules moins assouvis qu’il ne peut l’être de renommée, nous est apparu cet hiver dans un grand concert qu’il a donné dans la salle de M. Herz le 12 mars. M. Prudent est l’un des meilleurs pianistes de l’école française. Il a de l’éclat, de l’élégance et une grande égalité d’exécution. Imitateur adroit de la manière placide et fleurie de M. Thalberg, M. Prudent serait le plus heureux et le moins contesté des virtuoses, s’il n’était tourmenté du désir de vouloir passer pour un compositeur de génie, ni plus ni moins. Eh ! qui donc n’a pas de génie par le temps qui court ? Si vos œuvres sont méconnues par la génération présente, trop matérielle, trop bourgeoise, comme on dit, pour comprendre les effluves de votre imagination brûlante, n’avez-vous pas l’avenir qui vous attend, et qui vengera votre mémoire de l’ingratitude et de l’aveuglement de vos contemporains ? Malheureusement on parle plus de la postérité qu’on ne croit à sa justice, et au fond on veut vivre actuellement et vivre bruyamment. Quoi qu’il en soit, le concert de M. Prudent a été très brillant, et si ses compositions ne justifient pas toujours les titres pompeux qu’il leur donne, ce n’en sont pas moins d’agréables fantaisies qu’on écoule avec plaisir. — M. Louis Lacombe est aussi un très habile pianiste de l’école française qui n’est pas moins tourmenté du désir de la composition. Le concert qu’il a donné dans la salle de M. Érard le 8 avril n’était presque défrayé que par sa musique, qui n’a pas précisément le don de plaire à la foule. M. Lacombe n’en reste pas moins un artiste sérieux, trop sérieux peut-être, qui mérite l’estime des connaisseurs.

M. Sighicelli est un jeune violoniste italien qui s’est fixé à Paris depuis quelques années et dont nous avons déjà mentionné le nom dans la Revue. Nous l’avons entendu cette année dans un trio de Mendelssohn pour violon, piano et violoncelle, et puis dans un duo concertant pour violon et contre basse de la composition de M. Bottesini. M. Sighicelli a du talent, de la chaleur et une certaine morbidesse d’exécution qui révèle le pays qui l’a vu naître. Il lui reste à acquérir une meilleure qualité de son et à se corriger d’une légère incertitude d’intonation qui parfois trouble le plaisir qu’on éprouve à l’écouter. — M. Gaetano Braga, qui nous est venu de Naples un violoncelle à la main, joue avec goût de ce noble instrument. Dans le concert qu’il a donné le 26 mars dernier, il a fait preuve de talent. Il chante agréablement, mais un peu trop à la manière des chanteurs modernes, qui ne peuvent soutenir longtemps une petite phrase musicale sans ; la surcharger d’oripeaux, c’est-à-dire de points d’orgue usés jusqu’à la corde. Que M. Braga se hâte bien vite de se corriger de ce défaut, qu’il joue de la bonne musique et qu’il se préoccupe de la qualité du son,’qui est un peu maigre sous son archet, s’il veut mériter la réputation à laquelle il nous semble digne d’aspirer.

Nous devons signaler aussi le concert donné par M. Adolphe Reichel, pianiste de mérite et compositeur distingué. M. Reichel, qui est évidemment un musicien instruit, n’a pas un caractère bien prononcé dans les diverses