nous traitions ensemble au milieu des embarras et des ombrages qui nous assiégeaient. J’extrais ce fragment d’une lettre que je lui adressais le 3 décembre 1844, à propos d’un soupçon qu’il m’avait exprimé sur un incident survenu en Espagne : « Ce que nous avons, je crois, de mieux à faire l’un et l’autre, c’est de mettre en quarantaine sévère tous les rapports, bruits, plaintes, commérages, qui peuvent nous revenir sur les menées secrètes ou les querelles de ménage de nos agens ; — pour deux raisons : la première, c’est que la plupart de ces commérages sont faux ; la seconde, c’est que, même quand ils ont quelque chose de vrai, ils méritent rarement qu’on y fasse attention. L’expérience m’a convaincu, à mon grand regret, mais enfin elle m’a convaincu que nous ne pouvions encore prétendre à trouver ou à faire soudainement passer dans nos agens la même harmonie, la même sérénité de sentimens et de conduite qui existent entre vous et moi. Il y a, chez nos agens dispersés dans le monde, de grands restes de cette vieille rivalité inintelligente, de cette jalousie aveugle et tracassière qui a longtemps dominé la politique de nos deux pays. Les petites passions personnelles viennent s’y joindre et aggravent le mal. Il faut lutter, lutter sans cesse et partout contre ce mal, mais en sachant bien qu’il y a la quelque chose d’inévitable, et à quoi, dans une certaine mesure, nous devons nous résigner. Nous nous troublerions tristement l’esprit, nous nous consumerions en vains efforts, si nous prétendions prévenir ou réparer toutes les atteintes, tous les mécomptes que peut recevoir çà et la notre bonne entente. Si ces atteintes sont graves, si elles compromettent réellement notre politique et notre situation réciproque, portons-y sur-le-champ remède, d’abord en nous disant tout, absolument tout, pour parvenir à nous mettre d’accord, vous et moi, ensuite en imposant nettement à nos agens notre commune volonté. Mais sauf de telles occasions, laissons passer, sans nous en inquiéter, bien des difficultés, des tracasseries, des humeurs, des mésintelligences locales, qui deviendraient importantes si nous leur permettions de monter jusqu’à nous, et qui mourront dans les lieux mêmes où elles sont nées si nous les condamnons à n’en pas sortir. »
Les deux visites de la reine d’Angleterre au château d’Eu, où elle amena lord Aberdeen, et celle du roi Louis-Philippe au château de Windsor, où je l’accompagnai, contribuèrent beaucoup à développer entre nous cette bonne intelligence générale, cette confiance prompte, cette harmonie préétablie, si la politique peut admettre cette belle expression de Leibnitz, qui sont presque impossibles à espérer quand les personnes ne se sont jamais rencontrées et unies dans la liberté des conversations longues et intimes. J’eus également à Windsor avec sir Robert Peel, et aussi avec le duc de Wellington, dont le