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grecques ; mais on cherche vainement une institution politique qui tende à les réunir en corps de nation, à les protéger dans leur isolement contre un ennemi étranger. Je ne vois que les jeux olympiques et la diète des Amphictyons, qui semblent inventés pour rapprocher les différentes populations de la Grèce. À mon avis, l’excitation des jeux olympiques, qui mettait en mouvement tous les amours-propres, était peu propre à calmer les rivalités nationales. Quant au tribunal des Amphictyons, c’était un souvenir des temps héroïques qui avait perdu politiquement toute son importance, si tant est que dans le principe il fut une assemblée générale de la Grèce. À l’époque de sa fondation, douze états autonomes y en voyaient leurs députés, et une vieille superstition avait empêché d’y faire le moindre changement, bien que plusieurs des états admis à la diète eussent perdu leur indépendance, et que des républiques puissantes, mais nouvelles, n’y fussent pas représentées. Depuis longtemps, les décisions de ce tribunal n’étaient plus exécutées, lorsqu’il parvint à donner une triste preuve de son existence en excitant une guerre religieuse entre les soi-disant confédérés. Bientôt après, Philippe s’en servit comme d’un instrument pour imposer sa domination.

La durée de l’autonomie de la Grèce ne s’explique que par la faiblesse de ses voisins. Les Thraces, les Illyriens et les autres barbares de sa frontière septentrionale étaient encore plus divisés qu’elle. Il avait fallu l’ineptie des généraux de Xercès pour que son expédition n’écrasât pas la petite armée des Hellènes. Dès qu’il y eut au nord de la Grèce un état régulièrement organisé, elle perdit son indépendance. Elle n’en continua pas moins sa mission civilisatrice. Ses enfans, dispersés dans le monde antique comme les Juifs après la prise de la cité sainte, portèrent partout leurs arts, leurs sciences, leur littérature. La vieille gloire de leurs ancêtres les protégeait. Un Grec avait une espèce de caractère sacré. Il était en effet un apôtre de la civilisation. Pompée avait recruté quelques oisifs à Athènes, qui se firent prendre à Pharsale. César, le lendemain de la bataille, leur demanda en bon grec et d’une voix sévère de quoi ils se mêlaient ; puis, d’un ton radouci : « Allez, dit-il, vos grands morts vous sauvent. »


P. MERIMEE.