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de peuple à peuple, mais encore elle prépara l’empire romain à la grande révolution qui devait régénérer l’humanité.

Les deniers chapitres de M. Grote contiennent le récit des guerres civiles entre les lieutenans d’Alexandre qui prirent la Grèce pour leur champ de bataille. La Grèce n’est plus qu’un cadavre qu’on se dispute, comme le corps de Patrocle, sur lequel s’égorgent Grecs et Troyens, L’histoire fort obscure de la Sicile et celle des colonies, grecques du Bosphore, encore plus obscure, terminent le cinquième volume. On lira avec intérêt d’un roman la vie extraordinaire, d’Agathocles, auprès de qui César Borgia et les pires tyrans italiens du moyen âge furent de petits saints.

Si l’on jette un regard d’ensemble sur l’immense tableau que M. Grote vient de dérouler à nos yeux, on sera sans doute frappé de ce trait extraordinaire et si caractéristique de l’histoire de la Grèce. Sur un territoire peu fertile, resserré, en présence d’obstacles naturels nombreux et difficiles à surmonter, plusieurs villes parviennent avec une inconcevable rapidité à une situation florissante ; tous les genres de gloires sont recherchés et conquis par elles, et cependant ces villes, tant qu’elles conservent leur autonomie, ne peuvent organiser en nation. Avant la conquête macédonienne, il y eut des Spartiates, des Athéniens, des Thébains, et vingt autres républiques qui, du haut de leur acropole, voyaient des acropoles étrangères. Il n’y avait pas de Grecs parce qu’il n’y avait pas un intérêt commun à toutes ces républiques. Aujourd’hui toute société d’hommes ayant l’ambition de s’agrandir cherche à se recruter en s’associant de nouveaux membres qui prennent part à ses charges, et à ses avantages. Les institutions grecques au contraire semblent fondées sur un principe tout différent. Aristocraties et démocraties étaient fermées. Les Spartiates, de même que les Athéniens, voulaient en s’agrandissant avoir des sujets et non des égaux. Quelque étroites que fussent les frontières d’une cité grecque, elles renfermaient une population privilégiée et une autre population vivant dans une infériorité relative. Le patriotisme hellénique fut toujours étroit, jaloux et oppresseur. Les villes voisines se haïssaient, bien qu’ayant une origine commune. Il fallait un danger extraordinaire pour les obliger à se confédérer, et cela n’arriva qu’une fois, lors de l’invasion de Xercès ; encore, à vrai dire, la cause commune ne fut-elle défendue que par Sparte et par Athènes. Je remarque de plus que dans une occasion si pressante la communauté du péril n’effaça pas les prétentions dominatrices entre les nouveaux alliés. Sparte, qui n’avait à Salamine qu’un seul vaisseau, s’arrogeait le commandement suprême de la flotte, et son amiral faillit tout perdre.

Il y avait des traditions religieuses communes à toutes les tribus