Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/429

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le vers suivant explique l’énigme. Il s’agit de Médée, qui menace de mort Créon, Jason et Glauca, sa nouvelle épouse[1]. Bien qu’ivrogne, Pausanias, comme tous les Macédoniens de bonne maison, connaissait ses classiques. Je me hâte de dire que ce fait n’est rapporté que par un seul auteur. Mais ce qui fait plus honneur à la présence d’esprit qu’à la sensibilité d’Alexandre, c’est la rapidité vraiment admirable avec laquelle il se trouva prêt et à la hauteur de son rôle. Selon toute apparence, le crime avait été préparé par sa mère, à son insu, et il ne se fit aucun scrupule d’en profiter.

Tout en rendant justice au génie de Philippe, M. Grote le traite assez rudement, car il voit en lui le destructeur de l’indépendance grecque, de ce régime démocratique qu’il admire, et auquel il attribue, non sans raison peut-être, le développement extraordinaire des intelligences dans les républiques grecques. Il me semble que Philippe, après tout, n’a fait que ce qu’avaient inutilement tenté avant lui Athènes, Sparte et Thèbes, à savoir de réunir tous les Grecs sous un gouvernement suprême. Athènes la première essaya de soumettre toute la race hellénique à vingt mille gens d’esprit, très amoureux de l’art oratoire. Ils manquèrent leur but, et firent une lourde faute politique lorsqu’ils chargèrent de l’expédition la plus téméraire le plus prudent de leurs généraux, qui s’en acquitta avec le découragement d’une victime dévouée. Sparte réussit un peu mieux, grâce à un homme de génie qui avait la confiance de la majorité de ses patriciens ; mais dès qu’on n’eut plus besoin de Lysandre, on le sacrifia, et bientôt après Sparte perdit tout ce qu’elle avait gagné. Les succès de Thèbes furent encore plus éphémères : elle se borna à exercer des espèces de représailles contre Lacédémone, et elle se fit craindre aussi longtemps que vécut Épaminondas. Observons de quelle manière se conduisirent ces trois républiques pendant que la fortune leur fut favorable.

Les Athéniens traitèrent en général leurs sujets avec douceur, mais ne leur épargnèrent ni les humiliations d’amour-propre, ni les contributions, employées au profit et pour l’amusement des vingt mille gens

  1. Voici les vers d’Euripide : c’est Créon qui parle :
    « J’apprends que tu menaces, ainsi me le dit-on, de faire quelque chose contre le beau-père, le marié et la mariée. » On voit que l’idée de meurtre n’est pas nettement exprimée. En supposant l’anecdote vraie, Alexandre aurait fait seulement allusion à la position de Pausanias vis-à-vis d’Attale le beau-père (ou plutôt beau-frère), Philippe le marié, et Cléopâtre (sœur d’Attale) la mariée. Il parait que Pausanias avait eu personnellement à se plaindre de Cléopâtre, qui s’était moquée de sa mésaventure. Toute cette histoire donne une vilaine idée des mœurs de la Macédoine.