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de sagesse et de bon sens, il lui reste à dire comment, s’abandonnant elles-mêmes, elles subirent le joug d’un peuple qu’elles avaient longtemps méprisé. Un siècle et demi après avoir repoussé la plus formidable invasion du grand roi à la tête des forces de toute l’Asie, la Grèce succombe sous les coups d’un petit souverain qu’autrefois elle aurait à peine admis à l’honneur de son alliance. Avocat de la démocratie intelligente et honnête, M. Grôte voit avec douleur la transformation qu’elle a subie en peu d’années. La Grèce, au IVe siècle avant notre ère, est encore le centre de la civilisation ; elle possède peut-être la force matérielle, mais, divisée par vingt petites ambitions rivales, elle va tomber inévitablement au pouvoir d’un soldat habile et persévérant.

La Macédoine, relativement à la Grèce, se trouvait à certains égards dans une position assez semblable à celle de la Russie vis-à-vis de l’Europe occidentale. Un peuple pauvre, grossier, étranger à la civilisation hellénique, était gouverné par des chefs initiés à tous les raffinemens de cette civilisation. Les idées qui passionnaient les républiques grecques n’avaient aucun écho au-delà du Pénée. Là nul danger qu’un orateur ou qu’un philosophe renversât un trône avec une théorie politique. Spectateurs attentifs des agitations incessantes de leurs voisins, les rois de Macédoine recueillaient avec empressement quelques-uns des résultats matériels de leurs progrès, sans les acheter par des révolutions. Ils s’efforçaient d’attirer dans leur petite cour les beaux esprits de la Grèce, qui les amusaient, les louaient, les faisaient connaître, impuissans d’ailleurs à pour la sauvagerie macédonienne. Les poètes, les grands artistes, les acteurs illustres, étaient accueillis avec distinction à Pella, où on ne les comprenait guère sans doute. Archelaüs appelait Euripide auprès de lui ; Perdiccas était en correspondance avec Platon, comme Catherine II avec Voltaire. Les philosophes et les poètes grecs apprenaient peut-être quelque chose aux rois de la Macédoine, mais ils demeuraient ignorés du peuple, lorsqu’ils n’en étaient pas détestés, comme Euripide, que les courtisans d’Archelaüs, sans respect pour ses vers, firent manger aux chiens.

On ne sait pas bien si les Macédoniens doivent être rangés parmi les Grecs ou parmi les barbares ; et la question tient encore les doctes en suspens. Quelques-uns ont cru voir dans cette nation un rameau de la mystérieuse race pélasgique, si utile aux ethnographes pour combler les lacunes de renseignemens historiques : D’autres en font la souche d’une race non moins mystérieuse, celle des Skypetars ou des Albanais modernes. Pour moi, s’il fallait énoncer une opinion, je pencherais à les considérer comme un mélangé de tribus helléniques et barbares ; Officiellement dans le monde antique la