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C’est un lieu commun, longtemps répété et probablement encore admis par bien des gens, que, dans son ardeur à introduire et à étendre le droit de visite pour la répression de la traite, l’Angleterre tenait bien plus au droit de visite qu’à la répression de la traite, et se proposait bien plutôt d’assurer sa prépondérance maritime que de tarir les sources de l’esclavage. Étrange ignorance de l’histoire, et bien frivole appréciation du caractère du peuple anglais ! L’égoïsme national y tient, il est vrai, une grande place : son intérêt le préoccupe plus souvent que l’enthousiasme ne le gagne ; il démêle et poursuit, avec une sagacité froide et même dure, tout ce qui peut servir sa prospérité ou sa puissance ; mais quand une idée générale, une conviction morale s’est établie dans son âme, il en accepte sans hésiter les conséquences onéreuses, en recherche le succès avec une passion persévérante, et peut faire pour l’obtenir les plus grands sacrifices. Ce trait caractéristique de l’Angleterre éclate dans l’histoire de ses croyances religieuses, de ses institutions politiques, et même de ses idées philosophiques. Il n’y a point de peuple plus attaché à son intérêt quand son intérêt le préoccupe, plus dévoilé à sa foi quand il a une foi.

L’abolition de la traite et de l’esclavage est, depuis près d’un siècle, en Angleterre, une vraie foi, une partie intégrante de la foi chrétienne, une passion morale, née d’abord au sein d’une minorité, mais qui ne s’est pas reposée un seul jour tant qu’elle n’a pas conquis la majorité et soumis les esprits même qu’elle n’a pas conquis. Elle a poursuivi son but à travers tous les obstacles, tous les efforts, tous les sacrifices. Sans doute le plaisir de l’orgueil national et la satisfaction de certains intérêts ont pu se mêler et se sont mêlés à ce généreux dessein ; mais le sentiment moral en a été le véritable auteur, et c’était bien réellement pour parvenir à l’abolition de la traite, non pour entraver misérablement, en retardant çà et là quelques navires, le commerce de ses rivaux, que le gouvernement Anglais, dominé et poussé par le peuple anglais, a mis longtemps à l’établissement du droit de visite tant d’ardeur et d’obstination.

Pendant mon ambassade à Londres, dix jours après la signature du traité du 15 juillet 1840 sur les affaires d’Égypte, lord Palmerston réunit au Foreign-Office les représentans d’Autriche, de France, de Prusse et de Russie, et nous invita à signer, pour la répression de la traite, un traité par lequel les trois puissances du Nord acceptaient les conventions conclues à ce sujet, en 1831 et 1833, entre la France et l’Angleterre, et qui de plus apportait dans l’exercice du droit de visite quelques modifications. Cette négociation avait été entamée, suivie et amenée à ce point par mes prédécesseurs. J’en rendis compte à M. Thiers, alors chef du cabinet, qui me répondit :