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commune avec elles. Comment se refuser, à des vœux si légitimes, comment même ajourner tant d’espérances ? Cela ne se peut. Si le capital local est insuffisant, on s’adressera au capital étranger.

C’est en effet ainsi qu’on parle à Vienne, et c’est la seule réponse que l’on fasse à l’observateur morose qui essaie de refroidir l’enthousiasme national en objectant contre cette multiplicité d’entreprises l’absence du numéraire, le cours forcé du papier, le déficit du budget, etc. de ce qu’un tel langage soit après tout excusable, il ne s’en suit pas cependant qu’il soit sans réplique, et, à côté du mouvement opéré en Autriche, il convient de regarder ailleurs et de montrer la même fièvre industrielle agitant tous les peuples et réclamant les mêmes satisfactions, partant l’emploi à peu près exclusif pour chacun d’eux de son propre capital. Grands et petits états, tous ont la même ambition ; il n’est si petit duché en Allemagne, qui ne décrète son réseau de chemins de fer et ne constitue son crédit mobilier. Et à côté des appels désespérés que font les gouvernemens pauvres au capital étranger, on voit se produire, de la part des plus favorisés de la fortune, des tentatives plus ou moins heureuses contre cette émigration de l’argent. Quelle sera la fin de ces efforts, contraires ? Un peu de ralentissement dans l’exécution des entreprises conçues : ce serait un bien, à coup sûr ; mais il est impossible toutefois de ne pas redouter de plus sérieuses conséquences de cette passion industrielle qui s’est emparée de tous les esprits.

L’esprit industriel a affiché des prétentions qui ne paraissent point légitimes, il s’est donné des raisons d’être qui peuvent, et c’est la le danger, égarer bien des consciences et tromper sur sa véritable mission. Aujourd’hui il semble avoir hérité, de l’esprit libéral la prétention de changer et d’améliorer le sort des peuples. Au lieu d’obtenir le progrès humain par le développement des facultés intellectuelles et la satisfaction des besoins nouveaux, on rêve pour les hommes tout d’abord l’affranchissement du corps ; celui de l’es prit en sera la conséquence, il viendra plus tard et en son lieu. Les nationalités résistent, les peuples se soulèvent contre l’oppression ! — Les nationalités s’effaceront grâce aux chemins de fer ; les vaincus oublieront leurs défaites en s’enrichissant. La pensée s’irrite des entraves qui s’opposent à sa libre expansion ; on se souvient des libertés publiques perdues, ou l’on revendique les libertés promises ! — Biens stériles, jouissances imaginaires, armes dangereuses que suppléent, et avec avantage, l’activité industrielle, l’amour des entre prises, la recherche du profit matériel !

À coup sûr, on serait mal venu à méconnaître les bienfaits réels de l’industrie moderne, et nul n’aura suivi le cours du Danube, remonté la Vistule ou traversé les Apennins, sans appeler de tous ses vœux