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que le dictateur réservait aux seuls Magyars. Fut-ce générosité ou calcul ? Peu importe.

Remarquable par son origine, cette réforme ne l’est pas moins par la facilité avec laquelle elle s’est établie et par le succès qu’elle a obtenu. On sait ce qu’ailleurs de telles mesures rencontrent d’obstacles ; on a retenu ce mot appliqué à la France, qu’il est plus aisé d’y faire une révolution que d’y opérer une réforme. En Allemagne même, on voit partout les hautes classes lutter contre les prétentions de la bourgeoisie et du tiers-état ; la Prusse est troublée par ces combats de l’ancien et du nouveau régime, où la victoire reste encore indécise. En Autriche, au contraire, l’œuvre du prince de Schwarzenberg n’a pas rencontré un contradicteur. Privés de leurs pouvoirs de Justiciers et d’administrateurs, les membres de la noblesse n’ont rien revendiqué pour leur influence amoindrie et leur rôle effacé ; ils ont perdu, chose plus grave, la ressource des corvées, sans réclamer contre le prix qui leur en était offert. Fut-ce patriotisme ou résignation ? Qu’importe encore ? A présent, la destruction de l’ancien ordre de choses est complète, et nul effort ne saurait le relever. Quelques distinctions honorifiques, des préséances, l’accès privilégié à la cour, voilà tout ce qui reste à la noblesse de sa situation passée, et elle s’en contente. L’an dernier, aux eaux de Tœplitz, un noble baigneur me montrait avec complaisance les nombreux villages répandus dans la fertile plaine et sur le versant des riantes collines qui entourent cette résidence du prince Clary ; il m’énumérait avec orgueil les privilèges seigneuriaux qui jadis en avaient été l’apanage ? « à présent, ajoutait-il d’un air où une secrète satisfaction se mêlait encore au regret du passé, le maître de ce beau parc, qui donne aux étrangers la généreuse hospitalité de ses frais ombrages, n’a plus que le droit de hisser son propre drapeau au donjon de son manoir quand il l’habite, tout comme le souverain de la France aux Tuileries. »

Il faut cependant se garder de croire que de véritables et plus solides compensations n’aient pas été obtenues en dédommagement dès biens perdus. Je n’en voudrais pour preuve que l’élévation du prix de la propriété dans tout l’empire, et surtout en Hongrie. La singulière loi qui permettait à chaque propriétaire exproprié et à ses représentai de rentrer dans le domaine vendu, n’importe après quel délai, et en restituant seulement le prix de l’expropriation nonobstant toutes améliorations obtenues, avait fait tomber le prix de ces propriétés incertaines et précaires à un taux que nous nous refuse rions à admettre pour vrai. Le chef de la maison Sina, qui vient de mourir à Vienne, et qui a laissé une fortune de 200 millions de francs, possédait en biens-fonds une étendue de territoire égale à la superficie entière du royaume de Saxe. La plupart de ses propriétés, situées