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XI

Quand je dis « sa politique extérieure, » mon langage n’est pas parfaitement exact ; sir Robert Peel n’avait pas, à proprement parler, une politique extérieure qui fût vraiment la sienne, dont il se rendît compte avec précision, qui se proposât tel ou tel plan spécial d’organisation européenne, et dont il poursuivît assidûment le succès. C’est la condition naturelle des pays libres que la politique intérieure, les questions d’organisation constitutionnelle ou de bien-être public, les grandes mesures d’administration et de finances tiennent dans leurs affaires le premier rang. À moins que l’indépendance nationale ne soit menacée, quand un peuple n’est pas un instrument entre les mains d’un maître, le dedans prime, pour lui, le dehors. C’est sur tout la condition de l’Angleterre, défendue par l’Océan des complications et des périls extérieurs : « Heureuse nation, disait M. de Talleyrand, qui n’a pas de frontières ! » Je ne me souviens pas qu’à aucune époque le poste de ministre des affaires étrangères ait été, en Angleterre, celui du premier ministre ; c’est au premier lord de la trésorerie que, par l’usage et ses raisons profondes, ce rang a été en général réservé. Sir Robert Peel était essentiellement un premier lord de la trésorerie, chef du gouvernement intérieur dans l’état et du cabinet dans le parlement.

Mais si la politique extérieure n’était pas sa pensée dominante ni sa principale affaire, il avait à ce sujet deux idées ou plutôt deux sentimens puissans et beaux : il voulait, entre les états, la paix et la justice. Et ces grandes paroles n’étaient pas uniquement pour lui un drapeau, un moyen d’agir sur l’esprit des hommes : il voulait la paix et la justice, dans les rapports de l’Angleterre avec les autres nations, sincèrement, sérieusement, comme une bonne et habituelle politique. Quoique très préoccupé de la grandeur de son pays, très accessible même, en fait de dignité et d’honneur national, aux impressions populaires, il ne formait pour l’Angleterre aucun dessein d’agrandissement, ne ressentait envers les peuples étrangers aucune jalousie égoïste, et n’avait au dehors aucune manie de domination, aucun penchant à déployer une influence importune et arrogante. Il respectait le droit et la dignité des autres états, des petits comme des grands, des faibles comme des forts, et ne regardait l’emploi de la menace ou de la force que comme une dernière extrémité, légitime seulement quand elle était absolument nécessaire. Je répète les mêmes mots parce qu’ils sont les plus simples et les plus vrais ; il voulait sérieusement, dans la politique étrangère de son pays, la paix et la justice, c’est-à-dire, pour exprimer ma pensée à son plus grand