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contre ces cordonniers, ces tailleurs, poltrons envieux, à genoux devant un écu. « Leur montrer mes blessures, — demander leurs voix puantes, — me faire le mendiant de Dick et de Jack ! » Il le faut pour être consul, et ses amis l’y contraignent. C’est alors que l’âme passionnée, incapable de se maîtriser, telle que Shakspeare sait la peindre, éclate tout entière. Il est là sous la robe de candidat, grinçant des dents, et préparant ainsi sa demande :


… Qu’est-ce qu’il faut que je dise, — je vous prie, monsieur ? Malédiction ! je ne pourrai jamais — plier ma langue à cette allure. Regardez, monsieur, mes blessures ; — je les ai gagnées au service de mon pays, lorsque — certains quidams de vos confrères hurlaient de peur, et s’enfuyaient — effrayés du son de leurs propres tambours.


Les tribuns n’ont pas de peine à arrêter l’élection d’un candidat qui sollicite de ce ton. Ils le piquent en plein sénat, ils lui reprochent son discours sur le blé. À l’instant, il le répète et l’aggrave. Une fois lâché, ni danger ni prière ne le retient. « Son cœur est dans sa bouche. Il oublie qu’il ait jamais entendu le nom de la mort. » Il invective contre le peuple, contre les tribuns, magistrats de la rue, adulateurs de la canaille. « Assez ! lui crie Ménénius. — Oui, assez et trop ! disent les tribuns. — Trop ! Prenez ceci encore, et que tout ce par quoi on peut jurer, divin ou humain, scelle ce que je vais dire : Abolissez cette magistrature ; arrachez cette langue de la multitude. Qu’ils ne lèchent plus le miel qui est leur poison. Jetez leur pouvoir dans la poussière. » Le tribun crie trahison et veut le saisir.


… Hors d’ici, vieille chèvre ! — hors d’ici, pourriture ! ou je te secoue — à faire sortir tes os de ton vêtement.


Il le bat, et chasse le peuple de l’enceinte ; il se croit parmi les Volsques. « Sur un bon terrain, j’en mettrais quarante à bas. » Et quand on l’emmène, il menace encore, et « parle du peuple comme s’il était un dieu choisi pour punir, non un homme mortel comme eux. »


Il fléchit pourtant devant sa mère, car il a reconnu en elle une âme aussi hautaine et un courage aussi intraitable que le sien. Il a subi dès l’enfance l’ascendant de cette fierté qu’il admire ; « ce sont les louanges de sa mère qui ont fait de lui un soldat. » Impuissant contre lui-même, incessamment troublé par la fougue d’un sang trop chaud, il a conscience de sa faiblesse. Il a toujours été le bras, elle a toujours été la pensée. Il obéit par un respect involontaire, comme un soldat devant son général ; mais par quels efforts ! « Vaincre son cœur, mettre sur sa joue le sourire des coquins, dans ses yeux des