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corps de taureau. Le philosophe Plutarque lui prêtait une belle action philosophique, disant qu’il avait pris soin de sauver son hôte dans le sac de Corioles. Le Coriolan de Shakspeare a bien la même intention, car au fond il est brave homme ; mais quand Lartius lui demande le nom de ce pauvre Volsque pour le faire mettre en liberté, il répond en bâillant :


… Par Jupiter, oublié ! — Je suis las… Bah ! ma mémoire dort.— N’avons-nous point de vin ici ?


Il a chaud, il s’est battu, il a besoin de boire ; il laisse son Volsque à la chaîne et n’y pense plus. Il se bat comme un portefaix, avec des cris et des injures, et les clameurs sorties de cette profonde poitrine percent le tumulte de la bataille comme les cris d’une trompette d’airain. Il a escaladé les murs de Corioles, il a tué jusqu’à se gorger de carnage. Sur-le-champ il prend sa course vers l’autre armée, et arrive rouge de sang comme un homme « écorché. » — « Est-ce que j’arrive trop tard ? — Marcius !… — Est-ce que j’arrive trop tard ? » — La bataille n’est pas encore livrée. Il embrasse Cominius « avec des bras aussi forts que ceux dans lesquels il a pressé sa fiancée, le cœur aussi joyeux que le jour de ses noces ; » c’est que la bataille pour lui est une fête. Il faut à ces sens et à ce corps d’athlète les cris, le cliquetis de la mêlée, les émotions de la mort et des blessures. Il faut à ce cœur orgueilleux et indomptable les joies de la victoire et de la destruction. Voyez paraître cette arrogance de noble et ces mœurs de soldat, lorsqu’on lui offre la dîme du butin :


… Je vous remercie, général ; — mais je ne puis faire consentir mon cœur à prendre — un salaire pour payer mon épée.


Les soldats crient : Marcius ! Marcius ! et les trompettes sonnent. Il se met en colère ; il maudit les braillards :


Assez, je vous dis. — Parce que je n’ai pas lavé mon nez qui saigne, — ou parce que j’ai porté enterre quelques pauvres diables, — vous clabaudez mon nom avec des acclamations d’enragés, — comme si j’aimais qu’on mît mon estomac au régime — de louanges assaisonnées de mensonges !


On se réduit à le combler d’honneurs ; on lui donne un cheval de guerre ; on lui décerne le surnom de Coriolan, et tous crient : Caïus Marcius Coriolan !


… Je vais me laver. — Et quand ma figure sera belle, vous verrez — si je rougis ou non. Pourtant je vous remercie. — Je monterai votre cheval.

Cette grosse voix, ce gros rire, ce brusque remerciement d’un homme qui sait agir et crier mieux que parler, annoncent la manière dont il va traiter les plébéiens. Il les charge d’injures ; il n’a pas assez d’insultes