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prenant un petit air capable, et comme un homme qui sait parfaitement ce que valent les femmes ou plutôt ce qu’elles ne valent pas, que pour lui il ne sacrifierait pas un jour de sa liberté pour tout le beau sexe en masse, qu’il en parlerait cependant à Anifé et s’assurerait de sa manière de voir à ce sujet.

Anifé fut enchantée de ces nouvelles. Le jour des représailles se levait enfin. Elle retourna sans tarder chez le kadi et chez le ministre, leur apprit les propositions de Maleka et l’hésitation d’Ismaïl. — S’il refuse, dit-elle, je suis décidée à garder le silence et à ne pas paraître dans une affaire qui ne me regarde pas ; mais s’il prend le parti de me sacrifier, je demande à mon tour la restitution immédiate des cent vingt-cinq mille piastres qu’il me doit.

Ismaïl avait espéré que la crainte d’être répudiée aurait décidé Anifé à quelque effort suprême ; mais lorsque deux jours se furent écoulés sans ramener Osman à sa prison, il commença à s’inquiéter et l’envoya chercher. — Que dit Anifé ? lui demanda-t-il du plus loin qu’il l’aperçut.

Osman secoua la tête.

— Mais enfin que dit-elle ? reprit Ismaïl avec anxiété.

— Pas grand’chose, répondit Osman. Qu’il fasse ce qu’il jugera bon ! C’est la seule réponse que j’aie pu obtenir.

— En ce cas, il ne me reste qu’à passer par tout ce qu’exige Maleka, dit Ismaïl. Si Anifé s’en trouve blessée, c’est à elle seule qu’elle doit s’en prendre, et non pas à moi.

— Je n’ai rien à te dire là-dessus, dit Osman, et tu sais mieux que personne ce qui te convient.

Le lendemain amena Selim à la prison. — J’ai pris mon parti, lui dit Ismaïl ; Maleka sera satisfaite : je répudierai Anifé, et elle déchirera cette maudite déclaration, qui est fausse d’un bout à l’autre.

Porteur de cette grande nouvelle, Selim retourna auprès de Maleka. Ismaïl s’attendait à être élargi sur-le-champ. Quel fût donc son étonnement lorsqu’au lieu du greffier porteur d’un ordre de délivrance, il vit entrer le kadi, suivi d’un nombreux cortège de gardes et de serviteurs, et qu’il s’entendit sommer de restituer sur-le-champ à sa seconde épouse Anifé la somme de cent vingt-cinq mille piastres ! — C’est faux, c’est faux ! s’écria-t-il hors de lui ; je défie Anifé de prouver qu’elle m’a prêté cette somme.

— Anifé l’a prouvé suffisamment par cette déclaration signée de deux témoins, répondit le kadi, et il lui montra la pièce. Ismaïl y jeta les yeux ; il se souvint alors de l’allumeur de pipe qui s’était tenu immobile dans un coin pendant la transaction, et il se donna un grand coup de poing sur le front. Ayant rempli les formalités voulues par la loi, le kadi se retira.