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touche aux plus tristes détails de cette triste histoire, et j’éprouve le besoin d’imputer à la funeste influence des coutumes orientales des torts qui ne doivent pas retomber tout entiers sur mes personnages. Ni Anifé, ni Maleka n’étaient nées irrévocablement mauvaises ; mais l’éducation du harem avait eu chez l’une et chez l’autre ses résultats ordinaires : les bons instincts avaient sommeillé dans l’inaction, les mauvais s’étaient épanouis à l’aise. La part du mal était bien moindre toutefois chez Anifé que chez Maleka. Quand la fille de Fatma s’était proposé de transformer en un docile époux son oncle Ismaïl, la préoccupation de l’injure faite à sa mère dominait dans la jeune fille orgueilleuse et coquette toute autre pensée. L’amour cependant, un amour ardent et sincère, était venu modifier ce premier sentiment, et c’est alors qu’Anifé avait eu bientôt une autre injure à venger. Elle avait trouvé chez Ismaïl une indifférence complète et pour elle-même et pour son fils. Dès ce moment, elle n’avait plus hésité ; elle s’était souvenue des leçons données à son enfance, elle n’avait plus écouté que ses passions implacables. Chez Maleka, le mobile était moins noble : elle avait deux griefs contre Ismaïl, — le dommage matériel que lui avaient causé sa vie dépensière et les arrangemens pris à l’époque de son mariage, puis son empressement à favoriser une rivale, à l’élever, sans égards pour sa volonté bien connue, au rang d’épouse. L’intérêt blessé, la jalousie, faisaient donc seuls agir Maleka. Les informations recueillies par Selim sur la vie d’Ismaïl et de sa femme à Constantinople lui dictèrent un plan de campagne dont la conduite du bey ne seconda que trop bien l’exécution.

Ismaïl avait touché presque intégralement le prix de la terre vendue par Maleka à l’agriculteur franc, et cet argent n’était pas le seul que Maleka lui eût donné. Toutes ces terres vendues par Ismaïl aussitôt après son mariage avec sa belle-sœur, et au sujet desquelles les fermiers avaient réclamé, toutes ces terres, dis-je, n’avaient pas été rachetées, et Ismaïl en retenait toujours le prix. Maleka, à l’époque de son mariage avec Ismaïl, avait payé plusieurs des créanciers de son nouvel époux, et avait conservé leurs titres en femme prudente qu’elle était ; tous ces items, pour parler la langue du palais, formaient, un total de cent quinze mille piastres. Les Turcs signent au moyen d’un cachet sur lequel leur nom est gravé ; ils y passent de l’encre, et l’appliquent ensuite sur le papier. Ce cachet est d’ordinaire enchâssé dans une bague qu’ils portent au doigt ; mais il leur arrive assez souvent d’en avoir plus d’un, et Ismaïl possédait, outre l’anneau de rigueur, un vieux cachet qu’il avait porté dans sa jeunesse accroché à la chaîne de sa montre, et qu’il laissait la plu part du temps à Maleka, chargée de signer à sa place. Rien donc ne