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lorsqu’il prononça en hésitant ce peu de mots : — Mais pourquoi ?… — Anifé fît un petit mouvement de tête qui signifiait : — Ne vois-tu pas Osman ? — Ismaïl se hâta d’admettre la muette explication d’Anifé. Il eût été imprudent de confier à un aussi jeune homme un secret de cette importance ; Anifé avait raison, cent fois raison. Il répondit donc, avec la fermeté et avec le sérieux convenables, qu’il acceptait la proposition d’Anifé, qu’il achetait les bijoux quatre-vingt-quinze mille piastres, et qu’il paierait la somme à la requête de sa femme huit jours après que cette requête lui serait signifiée. Tout étant ainsi terminé à la satisfaction des parties, Anifé replaça les bijoux dans le coffret, à l’exception de l’une des bagues qu’Ismaïl voulut porter tout de suite à un bijoutier. On convint aussi qu’Ismaïl disposerait des bijoux à sa fantaisie, et qu’Anifé n’en serait plus désormais que la dépositaire.

Pour en finir avec cette opération toute commerciale, je dirai qu’Ismaïl vendit dans la journée même deux bagues pour le tiers environ de la valeur cotée. — Les saphirs et les émeraudes affluaient en ce moment sur le marché de Stamboul ; les montures étaient passées de mode. — Cette vente s’ébruita très vite, et il ne pouvait pas en être autrement, les bazars étant en Orient le rendez-vous de tous les oisifs, c’est-à-dire de la population tout entière. Ismaïl n’était pas encore rentré, que déjà le vestibule de sa maison était encombré de créanciers alléchés par la perspective d’un remboursement : Le bey employa toutes les ruses, toutes les promesses, toutes les dénégations imaginables, pour se dispenser de faire de son argent un si triste emploi. Vains efforts ! les créanciers furent plus entêtés encore que le débiteur. Tout se passa poliment, personne n’éleva la voix ni ne proféra de paroles trop vives, mais il fallut donner des à-comptes. Les créanciers connaissaient à un para près la somme touchée par Ismaïl sur les deux bagues ; ils en réglèrent le partage entre eux d’après le chiffre de leurs créances, en abandonnant toutefois à Ismaïl la somme de cinq cents piastres pour sa dépense personnelle.

Il fallut donc recourir de nouveau au coffret ; mais les bagues vendues en premier lieu formaient le plus beau joyau de la couronne. Le reste se composait de petites pierres dont la monture faisait tout le mérite, et cette monture était vieillie. Aussi ce fut avec les plus grandes difficultés qu’Ismaïl parvint à s’en défaire à très bas prix. Puis arrivèrent les créanciers qui n’avaient rien touché lors de la première vente, et ceux qui avaient été payés en partie revinrent aussi pour faire compléter leur remboursement. Ismaïl ne savait plus auquel entendre. Tout cela dura de six à huit semaines, après quoi le bey se trouva à peu près aussi pauvre qu’auparavant. La grande majorité des créanciers était payée, il est vrai, mais cela