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qu’un pareil sens eût pu être un moment attribué à ses paroles. Sir Robert accepta son désaveu, mais sans abandon et gardant un air de froide méfiance. Courageux jusqu’à l’obstination, il était en même temps d’une extrême susceptibilité nerveuse et enclin aux suppositions les plus amères : amertume excusable et presque clairvoyante dans cette circonstance. La passion se rassure trop par l’innocence de ses intentions sur les effets de ses emportemens ; on ne sait pas ce que des paroles prononcées sans mauvais dessein peuvent contenir de venin fatal qui ira enflammer les esprits ardens et pervers, toujours en fermentation obscure dans les régions inconnues de la société.


X

Un autre fardeau bien plus lourd à porter que la loi des grains et bien plus impossible à écarter, l’Irlande, pesait incessamment sur sir Robert Peel. Après l’émancipation des catholiques, il s’était flatté que cette plaie de son pays et de son gouvernement touchait à la guérison. Sans le proclamer, il avait toujours présent à l’esprit le plan qu’avait conçu M. Pitt, lorsqu’en 1800 il avait accompli l’union des deux royaumes. L’émancipation des catholiques, un traitement fixe assuré par l’état au clergé catholique, des établissemens d’instruction publique fondés pour donner à ce clergé, dans le pays même, l’éducation qu’il ne recevait pas du tout ou qu’il allait encore chercher sur le continent, par ces trois mesures coordonnées l’union de l’Irlande avec l’Angleterre devait devenir vraie et efficace. Sir Robert Peel avait exécuté la première, et si personne n’osait encore proposer la seconde, la troisième était depuis longtemps commencée. En 1795, M. Pitt avait fait instituer à Maynooth, dans le comté de Kildare, un collège spécialement destiné à l’éducation des prêtres catholiques, et depuis cette époque, sous tous les cabinets, tories ou whigs, et malgré les réclamations des ultra-protestans, le parlement avait voté chaque année, pour cette institution, une allocation peu considérable, mais importante par le principe qu’elle consacrait. Le 20 septembre 1841, trois semaines à peine après la formation du cabinet conservateur, l’opposition au vote annuel de ce fonds s’étant renouvelée, sir Robert Peel s’en expliqua hautement : « Depuis trente ans, dit-il, que je fusse ou non dans le pouvoir, j’ai voté pour le don au collège de Maynooth, sans ressentir à ce sujet aucun scrupule religieux ; je me fais donc un devoir de proposer aujourd’hui cette allocation à la chambre. « Elle fut votée par 99 voix contre 23, et le bon vouloir persévérant du premier ministre pour le clergé catholique