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votre faible mémoire, et pour peu que cela vous convienne, nous nous oublierons l’un et l’autre, de peur de nous gêner et de nous déplaire réciproquement. Entre nous, le ressentiment pourrait aller trop loin, et, encore une fois, l’oubli vaut mieux. Soyez heureux, et veuillez croire que je ne pleurerai pas longtemps sur les ruines de notre amitié. »

Cette lettre avait confondu Selim. La froide et dédaigneuse résolution de Maleka, les menaces ouvertement dirigées contre l’enfant d’Anifé, lui causèrent d’abord un sentiment d’horreur et de dégoût. Il se sentait en même temps ému de pitié pour cette jeune mère qui à cette heure peut-être n’avait plus de fils. Sa première pensée fut de tout lui dévoiler, de se mettre lui-même à la recherche de l’enfant, de le lui rapporter et d’attendre ensuite sa récompense en bravant le vain courroux de Maleka. Ce fut pour se confirmer dans cette héroïque résolution qu’il relut la lettre de son ancienne amie. Malheureusement cette seconde lecture produisit sur l’effendi un effet tout autre que la première. Il s’aperçut en premier lieu que les menaces à son adresse, à lui Selim, étaient beaucoup plus nombreuses que celles adressées au petit Ismaïl. Il ne put s’empêcher non plus de remarquer et même d’admirer le courage de cette formidable ennemie. Sévir contre le petit-fils d’un kadi, lorsque ce kadi est prévenu de son danger, avouer ses projets à un homme dont on soupçonne la fidélité, et à qui on n’épargne pourtant ni les reproches, ni le mépris, tout cela remplit Selim d’une admiration dont il essaya en vain de se défendre. C’était bien là cette Maleka qui l’avait subjugué jadis, et son penchant presque éteint se rallumait malgré lui à la flamme que Maleka portait en elle. Sacrifierait-il à cet amour renaissant son goût pour Anifé ? S’éloignerait-il de la fille du kadi ? Non ; mais il ferait servir leur intimité au plus grand succès des desseins de Maleka. Son ancien amour et son penchant nouveau trouveraient également leur compte à cet arrangement. Cette résolution prise, Selim écrivit à sa vaillante amie une lettre des plus soumises et des plus passionnées ; puis il se rendit chez Anifé pour lui communiquer la réponse de sa rivale, se promettant d’observer attentivement l’effet que produirait sur la jeune femme cette confidence calculée, et de pénétrer, dans l’intérêt de Maleka, toutes les conséquences probables des dénégations de celle-ci.

L’entretien de Selim et d’Anifé fut long et conduit de part et d’autre avec une prudence toute diplomatique. Selim commença par faire valoir de son mieux la vertueuse indignation qu’avaient éveillée, chez Maleka les soupçons dont il avait dû lui faire part. Anifé écouta sans trop d’impatience, mais elle témoigna quelque curiosité de connaître l’opinion personnelle, de Selim sur Maleka. Celui-ci protesta