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actuelle, les importantes innovations auxquelles ils ont fait allusion. Je ne veux pas entrer maintenant dans la défense de la loi des grains : nous aurons sans doute d’autres occasions de la discuter ; mais puisqu’on me demande de m’expliquer à ce sujet, je dois déclarer que le gouvernement de sa majesté n’a point le dessein de proposer de tels changemens. »

Devant une déclaration si positive, l’agitation fut vive dans la chambre ; les partisans de la liberté commerciale n’avaient pas suscité au dehors un tel mouvement, et avec un tel succès, pour n’obtenir au dedans que l’inaction. Leurs attaques devinrent pressantes ; M. Cobden les rendit personnelles. Après avoir soutenu que le peuple agricole souffrait de la loi sur les grains autant que le peuple manufacturier, et de la loi nouvelle autant que de l’ancienne, il interpella directement sir Robert Peel. « Quel autre remède avez-vous que le nôtre pour mettre fin à la détresse publique ? Vous avez agi selon votre propre jugement ; vous êtes responsable des conséquences de votre acte ;… en faisant passer votre loi, vous avez refusé d’écouter les manufacturiers ; la responsabilité de votre mesure retombe sur vous… L’honorable baronet dit que c’est son devoir de décider avec indépendance et d’agir sans tenir compte d’aucune influence, d’aucune instance, et moi je dis à l’honorable baronet que c’est le devoir de tout membre honnête et indépendant de le déclarer individuellement responsable de l’état actuel du pays ;… je lui dis que toute la responsabilité de ce déplorable et dangereux état pèse sur lui. » À ce mot de responsabilité, et de responsabilité personnelle, si âprement et tant de fois répété, sir Robert Peel prit la parole avec une émotion visible : « L’honorable membre vient de redire ici très énergiquement ce qu’il a dit plus d’une fois dans les conférences de la ligue, qu’il me regarde comme individuellement, personnellement responsable de la détresse et des souffrances du pays. Quelles que puissent être les conséquences de ces insinuations, jamais aucune menace, soit au dedans, soit au dehors de cette enceinte, ne me fera tenir une conduite que je considère… » Il ne put achever sa phrase ; amis ou adversaires de Peel, beaucoup de membres se demandaient ce qu’il voulait dire et pourquoi il était si ému. On comprit que l’image de M. Drummond poursuivait sa pensée, et que cette responsabilité de la détresse publique, rejetée avec tant d’insistance sur sa tête, le frappait comme une provocation à l’assassinat. À l’instant M. Cobden se récria, protestant avec véhémence contre un si injuste soupçon ; non-seulement les radicaux ses amis, mais les whigs, lord John Russell entre autres, l’en défendirent comme d’une indignité dont il n’avait pu concevoir l’idée, et à la fin de la séance il renouvela lui-même sa protestation, évidemment sincère, et désolé