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Plus d’une fois dans ces entretiens, M. Mollien lui entendit juger les hommes, ceux-là mêmes qui l’entouraient et auxquels il avait confié des portefeuilles ministériels. Quand il avait tracé ces portraits, que M. Mollien déclare ressemblans, il les faisait suivre de paroles empreintes du profond sentiment qu’il avait de ce que chacun doit à la chose publique, et manifestait sa confiance en sa propre aptitude avec cet abandon qui est de la vanité chez le vulgaire, mais qui chez des hommes de cette stature n’est que de la franchise ; « Vous voyez, lui dit-il un jour, je ne me laisse pas imposer par les réputations… Les anciens services, je ne les estime que comme une école dans laquelle on doit avoir appris à mieux servir. En peu de temps, je suis devenu un vieux administrateur. » Puis, comme pour lui révéler celui des secrets de l’art de gouverner qu’il a possédé plus qu’aucun des grands hommes qui ont été à la tête des empires, il ajouta : « L’art le plus difficile n’est pas de choisir les hommes, mais de donner aux hommes qu’on a choisis toute la valeur qu’ils peuvent avoir… »

Plusieurs de ces conversations roulèrent sur la Banque de France, qui était une des premières créations du gouvernement consulaire. Ayant présens à la pensée les services que le gouvernement anglais retirait de la banque d’Angleterre, services dont peut-être, comme beaucoup de personnes, il s’exagérait l’étendue, le premier consul avait voulu avoir sous la main un auxiliaire du même genre. Pour qu’elle eût plus tôt de profondes racines, il avait greffé la Banque sur une institution déjà existante, la caisse des comptes courans ; mais ce n’était pas assez pour qu’elle eût à beaucoup près la solidité et les ressources de la banque d’Angleterre. À la différence de cette grande institution, il avait laissé subsister avec sa banque dans Paris quelques autres établissemens de crédit qui émettaient aussi des billets. Les personnes, dont il avait écouté les avis dans cette fondation avaient plus de bonne volonté et de zèle que de lumières, et c’est ainsi que s’étaient introduites dans les statuts plusieurs dispositions regrettables, une entre autres par laquelle les effets de commerce présentés à l’escompte par les actionnaires de la Banque étaient dispensés de la condition des trois signatures, imposées au public. Cette clause de faveur n’avait pas peu contribué à faire admettre dans le portefeuille de la Banque ce qu’on appelle du papier de circulation, c’est-à-dire des effets de commerce ayant pour origine, au lieu de transactions sérieuses, des actes de complaisance mutuelle par lesquels des banquiers ou des commerçans battaient monnaie les uns au profit des autres en se passant réciproquement des effets qu’on apportait à la Banque pour les faire escompter, c’est-à-dire convertir en numéraire. Les régens, ou du moins quelques-uns