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et le péril bien plus grave dont le menaçait la ligue redoublaient la colère des tories exclusifs ; leurs attaques contre Peel, contre « sa trahison déjà consommée et ses obscurs desseins, » devenaient de jour en jour plus rudes. Il en était plus irrité qu’intimidé ; mais dans ce trouble des partis, en présence de tant de passions ennemies ou compromettantes, de tant de problèmes et de faits encore incertains, il jugeait plus sage de ralentir que de presser sa marche dans la voie difficile où il était engagé.

Un cruel incident vint ajouter à cette disposition de son esprit un sentiment de tristesse personnelle : comme il se promenait avec son secrétaire intime, M. Drummond ; un homme inconnu, un Écossais, Daniel Mac Naughten, arrivé naguère de Glasgow à Londres, se rencontra sur leur chemin, et demanda à des passans si ce n’était pas la sir Robert Peel. Peu de jours après, le 21 janvier 1843, M. Drummond, en traversant la place de Charing-Cross, fut atteint et tué d’un coup de pistolet tiré par Mac Naughten, qui l’avait pris pour sir Robert. Il fut clairement établi dans le procès qu’aucune idée, aucune passion politique n’était mêlée à ce crime, et que la préoccupation insensée d’une prétendue persécution, dont il se croyait la victime et sir Robert Peel l’auteur, avait seule poussé l’assassin. Il fut enfermé dans une maison de fous ; mais l’impression qu’avait reçue sir Robert de ce malheur était profonde et ne tarda pas à se manifester.

Le 2 février 1843, le jour même de l’ouverture de la session et dans le débat de l’adresse, il s’empressa de déclarer hautement la politique expectante qu’il se proposait de suivre dans la grande question dont le pays était agité. « J’ai fait, dit-il, l’an dernier, dans les lois qui régissent notre commerce, et avec l’aide de mes collègues et de mes amis, des changemens plus considérables que n’en avait tenté aucune autre époque. Si j’avais eu en vue d’autres changemens étendus et prochains, je les aurais proposés d’un seul coup, dans le cours de la dernière session. Pourquoi ne l’aurais-je pas fait ? J’ai exposé alors les principes généraux qui réglaient ma conduite, j’adhère toujours à ces principes : si j’avais de nouvelles réformes à proposer, elles y seraient conformes ; mais je n’ai autorisé personne à penser que je ferais chaque année de grandes innovations… Je ne puis oublier que, dans ce pays, la protection a été la règle, et que sous cette règle se sont créés de nombreux et considérables intérêts. Si, en introduisant de meilleurs principes, vous agissez trop vite, si vous créez des souffrances au moment même où vous vous efforcez d’amener des améliorations, vous courez le risque de retarder le progrès des bons principes même… Je tromperais donc les honorables membres, si je les induisais à attendre, dans la session