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les payer autrement[1], le taux vénal de cette matière est maintenu dans sa proportion naturelle, et protégé de même que le cours de tout autre objet contre toute espèce d’écart factice, par le seul intérêt de ceux à qui le gouvernement en a transmis la propriété. Est-ce parce qu’il plaît a quelques hommes de parier que ce prix variera dans un temps donné, qu’il peut et doit éprouver des variations, et s’il en éprouve en effet, n’est-ce pas évidemment par d’autres causes ?

« Quant aux marchés à terme qui se font à la Bourse, ajouta M. Mollien dans le cours de cette conversation, c’est à tort qu’on les repousse au nom de la législation et de la morale ; je crois avoir prouvé que la morale ne s’y opposait pas, et j’oppose à la législation qui les proscrit, et qui se réduit à un arrêt de circonstance rendu en 1786, que cet arrêt n’a jamais été ni exécuté ni exécutable. Ceux qui condamnent la vente et l’achat, sous cette forme, des effets publics oublient que les plus importantes, les plus nécessaires transactions sociales consistent en marchés de ce genre. Si des abus se sont introduits dans les transactions de bourse qui reposent sur des marchés à terme, on doit surtout en accuser la jurisprudence qui les place hors du domaine de la loi. S’ils violent la foi publique, c’est un motif de plus pour que les tribunaux ne se refusent pas à en prendre connaissance, car leur devoir est de chercher et de punir cette violation. Quand un homme libre a pris des engagemens téméraires, c’est dans l’exécution de ces engagemens qu’il doit trouver la peine de son imprudence ou de sa mauvaise foi ; l’efficacité de la peine est dans l’exemple qu’elle laisse, et certes ce n’était pas un bon exemple donné par la jurisprudence de 1786 que l’annulation du corps de délit au profit du plus coupable. L’objection commune contre les marchés à terme faits à la Bourse, et qui est fondée sur ce qu’on ne peut pas vendre ce qu’on ne possède pas, et que la loi ne peut pas reconnaître un marché qui n’aurait pas dû être fait, il est au fond qu’une pétition de principes ; il me semble que la loi ne doit pas défendre ce qu’elle ne peut pas punir, et bien moins encore ce qu’elle est réduite à tolérer. Elle ne doit pas interdire à la Bourse de Paris un mode de transaction accrédité par un long usage à Londres, à Amsterdam, et qui s’est plus particulièrement introduit dans nos habitudes, en conséquence des changemens survenus dans le régime de notre dette publique. Cette dernière considération affaiblit encore l’importance qu’on pourrait attacher à l’arrêt du conseil de 1786. Je ne prétends pas conclure que les marchés à terme sont exempts d’abus ;

  1. Allusion à l’acte par lequel le gouvernement avait imposé du 5 pour 100 au pair, comme solde de leur compte, à quelques-uns des créanciers de l’état.