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et à laquelle se sont ralliés tous les commerçans qui veulent voir clair dans leurs affaires. Il sent que les envieux pourront faire germer dans l’esprit de l’empereur une prévention difficile à déraciner en lui disant que son directeur général de la caisse d’amortissement ou son ministre du trésor voudrait faire procéder l’état à la façon des commerçans. Enfin, quand Napoléon veut stigmatiser : les Anglais, la formule dont il se sert de préférence consiste à dire que c’est un peuple de marchands.

L’empereur et son ministre devaient donc souvent se trouver en désaccord lorsqu’il s’agirait du traitement à faire aux capitalistes ou aux commerçans qui étaient en relation d’affaires avec l’état pour des fournitures ou pour l’entreprise de quelque service administratif, Le penchant de l’empereur était de les traiter sommairement, comme si avec eux le droit de propriété n’eût pas été en question. Il se croyait fondé à réduire les marchés après qu’ils avaient été signés à différer le paiement au-delà des termes convenus, lors même que l’exécution n’avait rien offert qui fût manifestement répréhensible et démontré tel. Au contraire, M. Mollien, pour qui la propriété des capitaux était aussi sacrée que celle des fonds de terre, devait insister pour que dans ce cas le principe, de la propriété fût pleinement respecté, c’est-à-dire pour qu’on payât leur dû aux fournisseurs et aux entrepreneurs des services publics, sans retenue et aux échéances arrêtées, sauf, lorsqu’ils seraient en faute, à les reprendre conformément à la lettre des contrats et à déférer le cas à la juridiction spéciale établie par la loi.

Mais il faut le dire à la louange de l’un et de l’autre, nonobstant cette source de dissentimens souvent renaissans, M. Mollien ne s’abaissa jamais pour rester en crédit, à des complaisances qu’un homme d’honneur pût désavouer, et Napoléon se montra scrupuleusement ménager de la dignité personnelle, de son ministre ; M. Mollien lui en rend le témoignage dans ses Mémoires. C’est à peine si pendant les treize années qu’il a passées dans les grandes fonctions publiques à partir de sa première entrevue avec le premier consul, il eut à subir deux ou trois fois les accès d’impatience que Napoléon n’épargnait pas à d’autres beaucoup plus empressés cependant de flatter ses opinions en lui sacrifiant les leurs, et chaque fois ce ne fut pas M. Mollien qui s’humilia pour se faire absoudre des torts qu’il ne se sentait pas ; ce fut l’empereur qui, se retournant noblement dans l’ampleur de son libre arbitre, fit les premiers pas vers le ministre qu’il avait blessé, et s’efforça de lui faire oublier par des bienfaits son langage dépourvu de mesure : preuve, on peut le dire en passant, que si Napoléon avait rencontré plus de respect de soi