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française, avec l’éducation catholique qu’elle a reçue, et dont l’influence subsiste même chez ceux qui croient avoir rompu avec la religion, le gouvernement est appelé chez nous à exercer beaucoup plus d’influence et à déployer son activité dans une carrière beaucoup plus large, non-seulement pour que la société prospère, mais même pour qu’elle fonctionne régulièrement. Napoléon, qui était d’un tempérament essentiellement dominateur ; et chez qui d’ailleurs s’offrait avec tant de développement et de puissance la réunion des facultés nécessaires pour gouverner jusque dans le dernier détail, n’aurait pu, en quelque pays qu’il eût été placé, se résigner à n’avoir que des attributions tronquées. Jusque-là il eût été aisé à M. Mollien de s’entendre avec lui, car l’administrateur de la caisse d’amortissement, avec la pénétration de son esprit, distinguait bien ce que devait être le gouvernement en France. Homme d’expérience et d’observation autant que de raisonnement, il sentait que les principes posés par Adam Smith ne s’appliquaient pas dans la même mesure partout et toujours. Il n’avait rien de commun avec ces disciples à l’esprit absolu qui, se refusant à faire la part des temps et des lieux, auraient volontiers recommandé en France exactement tout ce qu’avait écrit Adam Smith sous la pression du milieu où il vivait, comme si ce grand esprit, en le supposant ne et élevé parmi nous, eût tenu à Paris, en l’an VIII, le même langage qu’il tenait à Glasgow un tiers de siècle auparavant.

Sur un autre sujet, il était plus difficile à M. Mollien de s’accorder avec Napoléon. M. Mollien, conformément aux idées d’Adam Smith, considérait que l’équité, de même que la probité, est absolument une dans les sociétés modernes. Il ne mettait aucune différence entre les gouvernemens et les particuliers quant à l’obligation de respecter les engagemens librement contractés ; Le sentiment élevé et large qu’il avait du droit de propriété corroborait en lui cette opinion. Sur ce point, il était armé d’une conviction si forte et pourvu d’un si bon arsenal d’argumens, qu’il y était inexpugnable. Pour Napoléon au contraire, cette assimilation spéciale, mais sans réserve, entre l’état et un particulier, était une sorte d’abdication. Il ne lui était pas possible de consentir à faire descendre les gouvernemens de la région supérieure qui, à ses yeux, constituait leur place naturelle, pour les mettre, même en cela, au niveau des simples mortels ; puis, par le sentiment qu’il avait de sa supériorité personnelle, en supposant qu’on lui eût fait admettre des règles de ce genre pour un autre chef d’état, il était fort malaisé, sinon impossible de lui faire reconnaître qu’elles fussent faites pour lui.

Ce n’est pas qu’il n’ait le plus souvent parlé et agi comme un homme pénétré des droits qui appartiennent à la propriété privée,