Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/258

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le directoire de la banqueroute. D’excellens principes avaient été posés cependant, nous l’avons dit, dès la constituante, puis sous le directoire, par une meilleure rédaction des lois organiques de l’impôt, on avait commencé la préparation d’un meilleur avenir pour le trésor public ; mais on était bien loin du but encore, surtout en ce qui touche le mode de perception- Le recouvrement était fort en arrière, et on ne savait comment l’opérer. De là une pénurie indicible. L’armée était sans solde, les fonctionnaires sans traitement. Quand le directoire fut renversé, il y avait dix mois que les bureaux des ministres ordonnateurs n’avaient eux-mêmes rien touché. Une multitude d’ordonnances délivrées aux, créanciers de l’état demeuraient sans être acquittées, par conséquent tous les services publics étaient en souffrance. Les rentiers auxquels on venait d’infliger la banque route des deux tiers ne recevaient rien sur le tiers consolidé ; en con séquence le 5 pour 100 était coté à 10, c’est dire que le gouvernement était complètement dépouillé de l’aide du crédit.

Les choses en étaient à ce point que l’on avait vu un des ministres, celui de la guerre, outré des refus que rencontraient ses demandes de fonds, entrer, l’épée à la main, dans le cabinet de son collègue des finances, qui n’y pouvait rien, pour le forcer à lui en ordonnancer. Ce trait suffirait à prouver non-seulement ce que dit le duc de Gaëte dans ses Mémoires, « qu’il n’existait réellement plus vestige de finances en France[1], » mais encore qu’il n’y restait plus rien qui ressemblât à un gouvernement régulier.

Le 20 brumaire, quand l’ancien premier commis Gaudin, nommé ministre des finances, eut été installé, il trouva dans la caisse du trésor 167,000 francs, reliquat d’une avance de 300,000 qu’on avait obtenue la veille. C’est avec cette misérable ressource que commença le gouvernement consulaire. Le premier consul, qui avait fait son apprentissage administratif en pourvoyant à l’existence des armées hors du territoire de la république, se montra aussitôt vivement préoccupé du soin des finances. Il pensait comme le cardinal de Richelieu, qui s’est exprimé en ces termes : « .On a toujours dit que les finances sont les nerfs de l’état, et il est vrai que c’est le point d’Archimède qui, étant fortement établi, donne moyen de mouvoir tout le monde. — Un prince nécessiteux ne saurait entreprendre aucune action glorieuse, et la nécessité engendrant le mépris, il ne saurait être en cet état sans être exposé à l’effort de ses ennemis et aux en vieux de sa grandeur[2]. »

Le premier consul se fit donc immédiatement un plan de finances.

  1. Ce fait est raconté dans les Mémoires d’Ouvrard, qui en avait été témoin oculaire. (Mémoires de G.-J. Ouvrard, tome Ier page 37.)
  2. Testament politique du cardinal de Richelieu (1688), p. 325.