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qu’il ait à compter avec les créanciers de l’état. Sur le sujet de la propriété en général, il a tracé des pages éloquentes, et pour en recommander le respect, il a imaginé des formules neuves. « La propriété, dit-il, est le premier des organes du corps social : c’est lui qui donne le mouvement à toutes les autres parties. Cet organe est aussi le plus irritable, sa sensibilité est si délicate et si expansive, que la lésion qu’il éprouve sur un point se communique à tous les autres et met le corps entier en souffrance, parce qu’il est en péril[1]. » Il dit encore : « La garantie de la dignité de l’homme n’est que dans l’indépendance où il sait se placer pour les besoins auxquels la nature le condamne. Il n’acquiert cette dignité que par la propriété ; il ne la conserve qu’avec elle. Il faut conséquemment que l’indépendance de la propriété soit préalablement assurée pour que l’indépendance des personnes ait un commencement de garantie. L’instinct de la propriété révèle, par exemple, qu’exproprier par l’abus de la force publique, c’est rendre légal le vol à main armée ; que confisquer les biens des condamnés, c’est porter nécessairement la peine au-delà du crime, car la propriété ne peut jamais être considérée comme complice des personnes ; les hommes n’en sont que les dépositaires ; la loi de l’hérédité ne doit pas dépendre de leur genre de vie ni de leur genre de mort. Eh ! que deviendraient les droits du trône et les garanties que donne la royauté, si le titre héréditaire du fils d’un mauvais prince pouvait être contesté ? »

Ailleurs M. Mollien attribue le mécontentement général d’où sortit la révolution à ce que la propriété, dans ses divers aspects, ne trouvait plus que des hasards dans ses rapports avec le gouvernement. « On était réduit, dit-il, à calculer les chances d’un contrat fait avec les ministres comme celles d’un prêt à la grosse aventure. La propriété était tenue dans une perpétuelle inquiétude par l’arbitraire des impôts, l’exercice du droit de propriété était gêné par une législation abusive sur l’industrie ; or il n’y avait plus alors de gouvernement en Europe qui pût résister longtemps au ressentiment de la propriété longtemps blessée[2]. Et plus loin : « Si une grande monarchie, incertaine sans doute dans ses principes, mais du moins modérée dans ses commandemens, a péri, ce n’est pas parce qu’elle avait été attaquée par des métaphysiciens politiques et des pamphlétaires : c’est surtout parce qu’au moment de cette attaque, la propriété presque tout entière s’était désintéressée de sa cause, fatiguée depuis un siècle de ce que le trésor public demandait toujours plus et restituait toujours moins. »

  1. Mémoires d’un Ministre du trésor public, t. Ier, p. 143.
  2. Ibid.t Ier, p. 184.