eut dès-lors un nom éclatant, un chef populaire, de l’unité et de la grandeur.
La ligue rencontra dès ses premiers pas un dangereux écueil ; avant elle s’était formée une autre association bien autrement ambitieuse, celle des chartistes, qui n’aspiraient à rien moins qu’à changer, n’importe à quel prix, l’état civil comme l’état politique de l’Angleterre, sa société comme sa constitution ; révolutionnaires aussi étourdis qu’arrogans, qui, entre autres fautes capitales, commettaient celle de copier en paroles des révolutions étrangères. C’était la prétention des chartistes de dominer dans toutes les assemblées populaires, et d’y faire d’abord proclamer leurs principes et leurs projets. Ils avaient naguère, dans un grand meeting tenu à Leeds, violemment rompu avec les radicaux, qui ne voulaient pas réclamer absolument et sans transaction le suffrage universel ; ils repoussèrent avec la même violence la ligue pour la liberté commerciale, qui tenait à se renfermer dans son modeste dessein ; ils se refusèrent avec elle à toute entente ainsi limitée, portèrent le trouble dans ses réunions, et finirent par jeter les manufacturiers, ses chefs, dans la plus cruelle perplexité, en donnant aux ouvriers le conseil de quitter les ateliers et de cesser tout travail, assurés, disaient-ils, que, lorsque toute source de production et de revenu serait ainsi tarie, le gouvernement serait contraint de capituler et de se soumettre aux conditions que les classes ouvrières voudraient lui dicter. Un tel conseil devait trouver aisément crédit dans les districts manufacturiers que désolait la détresse. Tout travail y cessa en effet ; les ouvriers oisifs se promenèrent, en masses bruyantes, dans les rues et aux environs des villes, commettant ça et la des désordres graves sur le lieu même, mais peu menaçans en général. Par calcul comme par instinct, la ligue contre la loi des grains demeura étrangère à ce mouvement, qui compromettait à la fois et les intérêts actuels de ses chefs et le but lointain qu’ils poursuivaient. On essaya bien d’en rejeter sur eux la responsabilité, au moins indirecte, et probablement les prétextes ne manquaient pas à ce reproche, car dans les grandes agitations publiques tous les novateurs sont solidaires, et prêtent, dans les premiers momens, le souffle de leurs passions aux désordres que la plupart d’entre eux sont loin de vouloir. Au fond, M. Cobden et ses amis déploraient une perturbation que les souffrances populaires et les folies chartistes avaient seules soulevée, et lorsqu’au bout de peu de semaines elle cessa devant quelques mesures de répression et par son propre affaissement, ils furent à coup sûr des premiers et des plus sincères à s’en réjouir.
Rentrés par le retour de l’ordre dans leur liberté d’action, ils reprirent leurs réunions publiques : elles avaient commencé dans la