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sur ce qu’il avait vu dans l’administration des finances, il reconnut la possibilité d’en faire l’application aux comptes de l’état.

Pendant qu’il vaquait à ses nouveaux travaux avec zèle et succès, il reçut du ministre des finances, qui était alors Clavière une lettre par laquelle il était prié de se rendre à Paris. Cette lettre fut suivie d’une seconde plus pressante ; c’était en plein 1793, mais avant que le tribunal révolutionnaire n’eût commencé à frapper l’élite de la société française avec la rage des furies. Clavière, qu’il n’avait jamais connu, s’efforça de le déterminer à rentrer dans les fonctions publiques. Il lui dit que sa destitution avait été l’effet d’une de ces mesures précipitées qui suivent les grands mouvemens politiques, que le gouvernement réclamait le concours des hommes exercés aux affaires, qu’on voulait s’entourer de personnes probes, capables de résister aux entreprises d’un parti violent qui ne savait pas s’arrêter dans la démolition, et qui ne cherchait des appuis que parmi les brigands ; qu’une partie de la convention était réunie au ministère contre cette faction ; que le moment était venu de choisir entre ceux qui se proposaient de fonder la république sur des lois protectrices des propriétés et des personnes, et ceux qui ne voulaient gouverner que par des confiscations et des supplices. Ce langage, qui fait honneur à Clavière, resta cependant sans effet sur M. Mollien, soit à cause de la répulsion insurmontable qu’il éprouvait pour la politique suivie depuis 89, soit parce qu’il jugeait qu’il n’y avait rien à tenter de sérieux tant que le torrent révolutionnaire serait déchaîné. Il déclina donc l’offre dont il était l’objet, et, en sortant du cabinet de Clavière, il retourna sans attendre un instant à sa manufacture. Il ne devait pas y rester longtemps.

Quand un homme est destiné à occuper une position supérieure, il n’est pas inutile qu’il traverse quelques-unes de ces rudes épreuves où l’âme reçoit une forte trempe. Le moment était venu où M. Mollien allait en effet être rudement éprouvé. Sous la terreur, il fut arrêté et traîné à Paris dans la même prison et pour le même motif que les fermiers-généraux. Ceux-ci étaient à ce moment les victimes de la bassesse d’un misérable, ou plutôt de l’envie qui s’attachait alors à la richesse et à tous les genres de supériorité sociale, car le scélérat qui se porta leur accusateur ne fit que fournir un prétexte à la passion du jour. C’était un nommé Gaudot, ci-devant receveur des droits d’entrée à Paris, au port Saint-Paul, qui avait été chassé et poursuivi pour des malversations considérables : il avait soustrait de sa caisse 2 ou 300,000 francs. Échappé, à la faveur de la tour mente révolutionnaire, de la prison où la justice le détenait, il avait voulu faire disparaître les preuves accusatrices qui se trouvaient réunies tant au greffe de la cour des aides que dans l’ancien bureau