Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une publication périodique, organe de leurs opinions et de leurs conseils, choisirent des commis-voyageurs intellectuels chargés de la répandre en la commentant, et ouvrirent, pour subvenir aux frais de l’œuvre, une souscription qui s’éleva aussitôt à 50,000 livres sterling (1,250,000 francs ).

Ainsi commença contre la loi des grains l’organisation régulière de la passion publique, au service d’un intérêt et d’une idée.

Une idée n’est rien sans un homme. Sur-le-champ il s’en trouva un pour l’institution naissante. Richard Cobden, manufacturier en toiles peintes, établi depuis peu d’années à Manchester, s’y était promptement distingué par son esprit pénétrant, droit, fécond, et par son éloquence vive, claire, naturelle, hardie, aussi bien que par son honnêteté et ses succès industriels. Il était riche et populaire, et quoique les jalousies locales l’eussent empêché d’être envoyé à la chambre des communes par Manchester même, il y siégeait au nom de Stockport, ville voisine, qui l’avait élu son représentant. À peine entré dans l’association, Cobden comprit que, si Manchester en demeurait le principal théâtre et les manufacturiers de Manchester les principaux acteurs, elle serait de peu d’effet. Ce mélange d’instinct et de réflexion prompte qui caractérise les esprits puissans et les missions vraies lui apprit que, pour réussir, il fallait que l’association de particulière devînt générale, de provinciale nationale, et qu’elle eût pour centre de publicité et d’action le grand centre du pays et de son gouvernement, c’est-à-dire Londres. C’était d’ailleurs pour lui-même le sûr moyen de jouer dans cette œuvre le premier rôle. À Manchester, il avait des rivaux plus riches et plus influens que lui ; à Londres, et comme membre du parlement, il devenait naturellement l’organe et le chef de l’association. Il s’employa donc vivement à en transporter le siège à Londres, au milieu du grand mouvement politique et des partisans déjà célèbres de la liberté commerciale. Des relations s’établirent entre eux et le comité de Manchester ; des réunions se tinrent, où le but et les principes de l’association, ses conditions et ses moyens de succès, furent débattus et proclamés dans une sphère plus élevée et plus étendue que celle où elle avait pris naissance. Dans une de ces réunions, M. Cobden venait de décrire l’organisation de la ligue hanséatique et d’autres confédérations analogues formées dans le moyen âge pour résister à l’oppression des puissances du temps et protéger les classes labo rieuses : « Pourquoi ne formerions-nous pas aussi une ligue ? s’écria un des assistans. — Oui, reprit Cobden, une ligue contre la loi des grains. » L’adhésion fut générale et vive ; elle se répandit rapidement au dehors, partout où le mouvement venu de Manchester avait pénétré, et l’association qui déclarait la guerre à la loi des grains