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améliorations ne changeaient pas le fond des choses, et n’étaient que passagères, alors qu’il aurait été indispensable de faire subir au système une transformation profonde et permanente. Dans leur incurable égoïsme, les gens en crédit, qui exploitaient les abus comme on exploite un champ dont on est le légitime propriétaire, rendaient impossible toute réforme sérieuse. Ils se servaient de la faveur que leur accordait la faiblesse du roi et de la reine pour déconsidérer et renverser les ministres dès qu’ils leur supposaient la pensée de subordonner, même sur des points de détail, l’intérêt des ordres privilégiés ou celui des courtisans à l’intérêt public. Jamais on n’avait vu un pareil égarement ni un pareil vertige ; jamais aussi faute de ce genre ne reçut un pareil châtiment.

À travers ces mouvemens ministériels, au milieu des tentatives plus ou moins contradictoires, mais finalement toutes également impuissantes, dont le gouvernement offrait le triste spectacle, M. Mollien parvenait au grade de premier commis, qui était à peu près tout ce qu’un roturier pouvait ambitionner alors. Il ne lui appartenait pas de régler ni même de modifier les actes décousus des ministres qui se succédaient ; mais au spectacle des fautes qui s’entassaient les unes sur les autres, il se formait des opinions saines et fortes sur l’administration des finances. Lorsque l’occasion s’en présentait, il mettait en lumière, autant qu’il dépendait de lui, les vrais principes. C’est ainsi qu’alors que Necker avait le plus de vogue, il fit la juste critique des rentes viagères, dont le banquier genevois a beaucoup abusé. La scène se passait dans un salon en renom ; on sait ce qu’étaient les salons à cette époque où la tribune et la presse n’existaient pas.

M. de Calonne arriva au contrôle-général dans des temps difficiles ; le désordre financier, flagrant symptôme d’une mauvaise organisation politique et précurseur d’un désordre général dans l’état, était à son comble. Par la prestesse de son esprit, la facilité et le charme de son élocution, sa bonne grâce personnelle, la réputation que sa prodigalité lui avait value, parmi les courtisans et par eux dans le monde, d’être inépuisable en ressources, le contrôleur-général faisait illusion au prince et à lui-même. C’était en vain pourtant qu’il cachait sous des fleurs l’ouverture du précipice ; l’abîme n’en était pas moins là, béant, et chaque jour il devenait plus profond. Louis XVI accueillit la proposition que lui fit son ministre d’appeler une assemblée des notables ; il hâta ainsi le moment de la catastrophe, car il allait démontrer avec éclat au tiers-état qu’il ne lui restait plus, pour obtenir le redressement de ses griefs, d’autre voie que celle d’une révolution dans le pays, révolution que rendaient bien facile le caractère impuissant du prince et l’aveuglement des privilégiés. Calonne,