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un compte sévère de l’opposition personnelle qu’il fit spontanément à des mesures libérales non-seulement justifiées par les principes, mais aussi impérieusement commandées par les circonstances, et dont probablement le seul tort à ses yeux était que, plus clairvoyant que lui, un autre en eût pris l’initiative. Ainsi il a eu le malheur de combattre les idées de Turgot en faveur du libre commerce et de la libre circulation des grains, et celui de donner son appui au système des maîtrises et des jurandes, après que Turgot eut tenté d’en délivrer les populations opprimées.

Neçker avait été renversé à son tour par des intrigues de cour (1781) dont Maurepas encore était le principal artisan, et son remplaçant avait été M. Joly de Fleury, homme honorable et intègre, mais sans portée. Enchaîné à la routine, le nouveau ministre était fort peu propre à restaurer les finances. Puis ce fut M. d’Ormesson, qui eut une bonne pensée, celle d’en finir avec la ferme-générale et de lui substituer une régie, par le moyen de laquelle la totalité du produit de l’impôt fût entrée au trésor. Il succomba à la tâche aussitôt ; elle était trop lourde pour son inexpérience. En 1786, cette scène mouvante, qui renouvelait les ministres presque machinalement, sans améliorer la situation des affaires, amena le tour de M. de Calonne, homme à l’esprit ouvert, et qui eût volontiers innové ; mais il était léger, présomptueux, dépourvu de connaissances en administration, et manquait absolument du fil conducteur indispensable pour sortir du labyrinthe ou l’on était : il ignorait ce que c’est qu’un principe. Cependant l’abîme du déficit se creusait chaque jour. Quand Louis XVI était monté sur le trône, en 1774, l’intérêt de la dette constituée s’élevait à 93 millions ; en 1783, il était de 162, sans, compter l’intérêt des anticipations et des autres emprunts non constitués, qui formait un supplément considérable. En 1785, Necker portait l’intérêt total de la dette à 207 millions, et il y avait 10 millions à y ajouter à la fin de la même année. Dans ce laps de temps néanmoins, quelques-uns des ministres avaient lutté contre le mal et avaient remporté quelques succès partiels. Turgot, sans charger les contribuables, avait pu solder une très grosse somme sur l’arriéré[1]. Sur la proposition de Necker, le roi n’avait pas balancé à diminuer les dépensés qui lui étaient personnelles et à restreindre les largesses faites aux dépens du trésor à des favoris ou à leur clientèle ; mais ces

  1. D’après les notes de Dupont de Nemours, Turgot, dans une administration de vingt mois, a payé :
    Sur la dette exigible arriérée, environ 24,000,000 fr.
    Sur les anticipations 28,000,000
    Sur la dette constituée 50,000,000
    (Droz, t. Ier, p. 199.)