misères, allaient croissant dans cette ville désolée avec une effroyable rapidité. Près du quart des maisons n’avaient plus d’habitans ; les prisons en regorgeaient. Des enfans mouraient de faim dans les bras de leurs mères ; des pères abandonnaient leurs femmes et leurs enfans, essayant de les oublier, puisqu’ils ne pouvaient les nourrir. Le parlement faisait des enquêtes sur l’étendue et les causes de cette détresse. Bolton avait pour représentant à la chambre des communes le docteur Bowring, économiste intelligent, actif, expansif, infatigable, appliqué sans relâche à mettre et remettre ces faits sous les yeux de la chambre, en les invoquant pour la cause de la liberté commerciale, dont il était l’un des plus zélés défenseurs, et soutenu dans son ardeur philanthropique par son goût pour le plaisir de faire du bruit en faisant du bien. Le mal persistait ; nul remède n’arrivait. Un vieux médecin, le docteur Birney, annonça un jour à Bolton qu’il ferait le soir, dans la salle de spectacle, une leçon sur la loi des grains et ses effets. Une grande foule se réunit, la salle était pleine ; mais quand l’orateur voulut prendre la parole, il se troubla et s’embarrassa à ce point qu’il lui fut impossible de poursuivre. Le désappointement et l’humeur, dans ce public déjà si triste, se tournèrent en irritation. Un violent désordre était près d’éclater. Un jeune chirurgien, M. Paulton, s’élança sur le théâtre, et improvisa tout à coup contre la loi des grains, et sur les souffrances qu’elle infligeait aux classes ouvrières, une éloquente invective. L’assemblée l’écouta et l’applaudit avec passion. On lui demanda de recommencer, dans une autre séance, son populaire discours. Il recommença en effet, apportant à l’appui de ses idées de nouveaux faits, de nouveaux raisonnemens, de nouveaux motifs de colère. Le docteur Bowring se trouvait en ce moment à Manchester, où, parmi les principaux manufacturiers, un comité venait de se réunir pour étudier la détresse publique et les moyens d’y porter remède. Entendant parler de M. Paulton et de ses improvisations, il le fit engager à venir à Manchester et à entretenir le comité de ses vues. Aussi approuvé et goûté à Manchester qu’à Bolton, M. Paulton reçut du comité la mission de parcourir les principaux districts manufacturiers de l’Angleterre, pour les échauffer d’un même zèle dans un même dessein. La chambre de commerce de Manchester adopta presque à l’unanimité une pétition demandant au parlement l’abolition complète et immédiate de la loi des grains. Les fabricans, négocians, marchands et ouvriers de la ville signèrent, au nombre de plus de vingt-cinq mille, une sorte de déclaration de guerre à cette loi, et pour rendre ce mouvement efficace en le transformant en action continue, les manufacturiers formèrent une association permanente vouée à la poursuite de leur but, instituèrent, sous le titre de Circulaire contre la Taxe sur le Pain,
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