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être vraies l’une et l’autre ; au fait, ni l’une ni l’autre n’est vraie ; je n’ai trompé personne, je n’ai pratiqué dans le gouvernement point de principes que je n’eusse professés dans l’opposition. Que me disiez-vous alors ? Que mes partisans ne me soutenaient qu’à contre cœur et sans conséquence, qu’ils blâmaient ma modération, mon penchant pour la liberté commerciale. Quand j’ai pris le pouvoir en 1835, n’ai-je pas fait une déclaration publique des principes d’après lesquels je voulais agir ? En quoi m’en suis-je écarté en 1842 ?… Le noble lord dit que je n’ai pas pris ces principes dans les boîtes rouges des derniers ministres. Il n’a jamais rien dit de plus vrai. Le dernier cabinet n’a pas laissé la moindre trace de ses intentions en fait de liberté commerciale et d’abaissement des tarifs : elles ont pu être excellentes, mais nous n’en avons rien découvert… Ce n’est qu’au jour même de votre chute, comme des pénitens consternés, que vous vous êtes souvenus des principes que vous aviez oubliés ou négligés aux jours de votre force, et vous avez discrédité ces principes mêmes en essayant de les faire servir, non pas au bien public, mais au salut d’une administration en ruine… Le noble lord explique l’inaction du cabinet dans ses dernières années par un argument qu’il croit triomphant ; ils n’étaient pas, dit-il, assez forts, ses collègues et lui, pour faire prévaloir leurs principes ; ils étaient entravés, annulés par l’opposition. Alors pourquoi restiez-vous au pouvoir ? pourquoi préfériez-vous vos places à vos principes ? Pourquoi ne proposiez-vous pas ce que vous jugiez bon, en renvoyant au parlement la responsabilité du rejet ? J’ai le droit de vous faire cette question. En 1835, ai-je renoncé à la taxe sur la drèche parce que mes partisans me menaçaient de la repousser ? Non ; je les ai réunis, je leur ai dit que le maintien de la taxe sur la drèche était nécessaire au maintien du crédit public, que je m’opposerais à ce qu’elle fût abolie, et que je me retirerais si j’étais battu. J’ai résisté, et résisté efficacement… Vous me disiez l’an dernier que je serais un instrument dans les mains d’autrui, et qu’on me refuserait le pouvoir de pratiquer mes principes. J’ai déclaré alors, comme je le déclare aujourd’hui, que le pouvoir, ses privilèges, son éclat, ne sont rien à mes yeux si ce n’est comme instrument de bien public. S’il faut posséder le pouvoir par tolérance et ne le garder qu’à la condition d’abandonner mes propres opinions pour obéir à celles d’autrui, je ne le garderai pas. Mon dédommagement pour tous les sacrifices que le pouvoir impose, c’est l’espoir de cette honorable renommée qu’on n’acquiert qu’en suivant fermement la route qui, selon notre jugement toujours faillible, conduit au bonheur du pays… Ce n’est pas en s’asservissant aux volontés d’autrui, en recherchant la faveur momentanée des majorités, qu’on arrive à ce but, seul digne de nos