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fond, le véritable intérêt romanesque de cette littérature consiste dans l’exagération d’un des sentimens les plus honorables du cœur humain, dans l’exagération du sentiment de la vie de famille et du bonheur domestique. Les enfans sont plus beaux encore qu’il n’est dans la nature des enfans de l’être ; leurs petites manières sont plus naïves aussi, leurs jolis traits sont plus angéliques ; la mère a trop de tendresse, le petit cottage est trop enveloppé de soleil. Dans les deux romans qui nous occuperont spécialement, il y a bien quelques histoires de filles séduites ou de douleurs inconsolables, mais en somme c’est le romanesque de la vie de famille qui domine ; tous les sentimens qui y sont exprimés tournent dans le cercle étroit du foyer. En dehors de cette sphère morale, l’auteur a beau faire, la société qu’il a sous les yeux ne lui fournit aucune peinture aimable, aucune aventure, ni aucun personnage d’un intérêt romanesque. La réalité la plus crue et la plus vulgaire s’y étale ; mœurs, caractères, personnages, tout y a un aspect plébéien ; rien n’y parle à l’imagination. Comment donc s’expliquer ce phénomène ? se dit-on après avoir achevé la lecture de ces livres, comme de tous les livres américains en général qui veulent tracer des peintures de la vie. Est-ce donc que les jeunes miss américaines ne désirent rien de mieux que ce qu’elles trouvent dans leurs romans ? Ce public de femmes et de jeunes gens n’a-t-il donc pas des rêves à imposer aux écrivains qui se chargent de l’amuser ? Les rêves qui d’ordinaire tourmentent tous ceux qui sont assis derrière un comptoir ou dans une maison de banque n’existeraient-ils donc pas aux États-Unis, et la pratique Amérique nous offrirait-elle la seule exception à cette loi des sociétés, car l’empire du romanesque sur certaines classes est une loi des sociétés, un phénomène qui se présente infailliblement aussitôt qu’il existe des groupes nombreux dont la vie se compose de beaucoup de travail et d’un peu de loisir ? Or beaucoup de travail et un peu de loisir, c’est la justement la condition à laquelle est soumise la vie américaine. D’ailleurs le romanesque ne domine-t-il pas partout où il y a des marchands fatigués du travail de la journée, et qui demandent à la lecture ce que la vie ne leur donne pas, des jeunes gens pauvres qui gagnent leur existence autrement que par un métier manuel, des jeunes filles à marier dont la richesse ou la pauvreté contrarie les inclinations du cœur ? Ces jeunes gens, ces marchands, ouvrent-ils un livre pour entendre parler encore de la réalité dans laquelle ils vivent ? Il y a là au premier abord une sorte de mystère très facile à pénétrer.

Faut-il faire honneur de l’absence de cet élément littéraire à la pureté des mœurs domestiques, ou bien à l’esprit pratique et calculateur du pays, à cette chasse à l’argent qui dissipe tous les soucis de