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un jour qui leur assurait, pour de longues années, le maintien de ce système de monopole et de droits restrictifs auquel ils étaient attachés, et qu’ils jugeaient bon pour l’intérêt public comme pour leur propre intérêt ; mais, ô vanité de la sagesse humaine ! que la vue des hommes les plus sagaces est courte ! Avant que peu de mois se fussent écoulés, les chants de triomphe des tories se sont changés en cris de lamentation. Les hommes qu’ils avaient choisis comme leurs plus fermes champions, les défenseurs qu’ils avaient armés pour leur cause, ceux-là même ont tourné contre eux leurs armes, et leur ont porté sans pitié des coups qui, s’ils ne sont pas mortels aujourd’hui, amèneront infailliblement bientôt la ruine complète du système favori des tories. Grand a été leur désappointement et amères leurs plaintes. Nous ne les avons pas beaucoup entendues dans cette chambre, et pour cause ; mais dans toutes les autres maisons de Londres, dans tous les clubs, dans toutes les rues ont retenti les colères de ces pauvres gens se disant victimes de la plus cruelle déception. Il est vrai qu’ils ont été cruellement déçus ; mais par qui ? Ce n’est point par l’honorable baronet dont ils ont fait leur chef ; c’est par eux-mêmes, c’est à eux-mêmes qu’ils doivent s’en prendre du mécompte que leur cause la conduite du gouvernement de sa majesté. Pourquoi, pendant les dix longues années qu’ils ont passées marchant à la suite de leurs chefs dans l’opposition, n’ont-ils pas pris la peine de s’assurer des opinions de ces chefs sur ces questions d’une importance à leurs yeux vitale ?… Ce que sont réellement ces opinions, nous avons eu, dans la session actuelle, pleine liberté et occasion de l’apprendre ; elles nous ont été exposées sans détour sans équivoque, et je dois dire que les plus zélés avocats de la liberté commerciale n’auraient pu manifester des doctrines plus libérales, des principes plus élevés et plus justes. Personne ne peut supposer que nos honorables adversaires aient hérité de nous ces principes en prenant nos places, ou qu’ils les aient trouvés enfermés dans les boîtes rouges dont nous leur avons remis les clés… Encore moins peut-on croire que ces opinions, ces doctrines aient été, pour les chefs tories, le résultat d’études profondes auxquelles ils se sont livrés depuis leur entrée au pouvoir en septembre dernier ; nous savons par expérience ce que sont les labeurs obligés des ministres ; nous savons que le torrent des affaires roule sur eux à toute heure de tous les jours, comme les flots de la Tamise, et les emporte irrésistiblement Non, ce n’est pas entre le 3 septembre, jour de leur avènement, et le 3 février, jour de l’ouverture de cette session, que les ministres de sa majesté ont eu le loisir d’étudier les ouvrages d’Adam Smith, de Ricardo, de Mac Culloch, de Mill et de Senior ; évidemment les idées qu’ils ont exprimées dans cette