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l’occasion va s’offrir à moi de surprendre un matin ta femme avant l’heure où elle a transformé son visage. — Ismaïl s’inquiétait bien un peu des conversations prolongées de son ami et d’Anifé ; mais Sélim paraissait prendre si bien à cœur les intérêts du bey, que celui-ci n’avait garde de laisser voir le moindre soupçon, et qu’il allait même jusqu’à le supplier de persévérer.

Un jour enfin, Selim-Effendi entra, sombre et recueilli, dans le salon du bey : — Ismaïl, lui dit-il d’un l’on solennel, as-tu du courage ?

— En doutes-tu ? répondit Ismaïl, déjà pâle.

— Dès le début de cette triste affaire, je t’ai trouvé ferme et résolu, mais tu pouvais conserver au fond du cœur l’espoir de ne pas être appelé à accomplir le plus pénible des sacrifices. Moi-même je répugnais à ajouter pleinement foi à d’aussi affreuses accusations, et je me flattais toujours que tout s’éclaircirait à ta satisfaction et à la mienne aussi. Aujourd’hui, hélas ! tout espoir m’abandonne. Comment supporteras-tu ? …

— Je supporterai tout, s’écria Ismaïl ; mais parle, de grâce !

— J’ai vu ta femme.

— Tu l’as vue ! C’est-à-dire que tu l’as vue sous son véritable aspect ; eh bien ?

— Eh bien ! mon ami, ceux qui affirment que ta femme est naturellement laide, bossue, qu’elle n’a ni un cheveu sur la tête, ni une dent dans la bouche, qu’elle est jaune, ridée (on va même à la prétendre borgne et à soutenir qu’elle est centenaire), ceux-là exagèrent grandement. Ta femme peut tout au plus être considérée comme laide ; pour jeune, elle l’est certainement ; ses traits sont insignifians plutôt qu’irréguliers ; son teint est terne, mais ce que je puis t’annoncer avec certitude, c’est qu’elle ne ressemble guère à la fraîche et splendide Anifé que j’ai vue à tes côtés, et que toi-même tu vois tous les jours.

— En voilà bien assez ! repartit Ismaïl ; mais comment as-tu réussi à la surprendre ?

— Tu m’avais dit qu’en sortant du bain, elle avait coutume de s’enfermer dans son laboratoire, où tu supposais qu’elle recompose sa beauté. Je me suis placé dans une chambre bien éclairée qu’elle devait traverser pour arriver à son cabinet. Quand elle parut, je m’approchai d’elle, et, feignant d’avoir quelque chose d’important à lui communiquer, je la forçai de m’entendre. Elle tenait son voile soigneusement baissé ; mais, comme elle ne m’avait pas accoutumé à tant de réserve, je lui en fis des reproches en plaisantant, puis j’écartai un côté de son voile, et ce que j’ai vu me suffit.

— Et que dit-elle ?

— Elle parut d’abord inquiète et irritée, mais je dissimulai si bien ma surprise, je gardai si imperturbablement mon sang-froid, qu’elle