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rer quelques papiers dont Maleka avait besoin pour vendre la plus belle de ses propriétés ; Cet ami était fort peu scrupuleux en fait de morale et très habile à bien servir les mauvaises causes. Outre sa mission officielle, il en avait une secrète qu’il est inutile de préciser, car on va le voir à l’œuvre.

Selim-Effendi (c’était son nom) se présenta un matin chez Ismaïl de la part de Maleka. Il fut aussitôt accablé de questions. — Que fait Maleka ? que dit-elle de moi ? Est-elle encore bien courroucée ? …

— Maleka se porte à merveille, répondit Selim, et elle est si belle que ma foi un pacha de ma connaissance serait bien tenté de la prendre pour femme. — Cette réponse habilement calculée détermina tout de suite chez Ismaïl un mouvement de jalousie qu’il ne sut point dissimuler.

— Le pacha l’a-t-il vue ? demanda-t-il.

— Il l’a vue, répondit Selim ; vous savez que Maleka n’aime point à garder son voile : elle prétend que cette mode ne sied qu’aux vieilles femmes. Quand elle se considérait comme votre épouse, elle y mettait un peu plus de façons ; mais maintenant que vous lui avez rendu sa liberté, elle en fait usage.

Ismaïl s’emporta ; il prétendit que son second mariage ne nuisait en rien au premier. Selim lui donna raison, tout en regrettant que sa femme ne partageât pas sa manière de voir sur ce point délicat. Il finit par engager le bey à laisser Maleka se conduire comme elle l’entendrait, et l’on se mit à parler d’affaires. — Maleka, dit Selim, voyait tout lui réussir. Elle était au moment de conclure un marché magnifique avec un riche étranger, un Franc, un chrétien catholique qui désirait s’établir en Asie et y fonder une colonie agricole. On lui avait parlé des terres de Maleka ; celle-ci en avait demandé un prix fort élevé, vingt mille piastres, et l’étranger n’avait pas fait la moindre objection. Il avait été convenu que la moitié de la somme serait payée lors de la signature du contrat, et l’autre moitié lors de la prise de possession par l’acquéreur. Il ne s’agissait plus maintenant que de se procurer les documens nécessaires à la transmission des droits de propriété, le consentement par écrit d’Ismaïl et des tenans, fermiers, etc. Ismaïl songea bien à oublier dans le consentement qu’on lui demandait quelque formalité qui pût invalider à l’avenir les droits de l’étranger ; mais il avait affaire à forte partie, et Selim-Effendi lui déclara que la vente devait être parfaitement régulière, ou ne pas avoir lieu du tout.

Ceci convenu, Selim-Effendi questionna Ismaïl sur sa nouvelle épouse.

— Il court d’étranges bruits sur votre mariage, lui dit-il en souriant, et si ces bruits sont fondés, Maleka devrait vous plaindre plutôt que vous condamner.