Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LES DEUX FEMMES
D’ISMAÏL-BEY

RÉCITS TURCO-ASIATIQUES


I.

Deux petites filles cueillant des fleurs dans un jardin par un beau soir d’été, n’est-ce pas là un thème d’idylle, un sujet gracieux, qui dispose l’âme à des impressions de paix et de douce gaieté ? La scène malheureusement se passe dans un village d’Asie-Mineure. Le jardin n’est qu’un terrain enclos de murailles et de haies, obstrué de broussailles et de végétations parasites. Les deux petites filles, âgées de douze à treize ans, ont déjà perdu les grâces de l’enfance sans avoir encore gagné celles de la jeunesse. L’une des deux marche en avant de l’autre, et ses traits expriment une joie orgueilleuse, tandis que sa compagne fait une mine des plus maussades. Quant aux propos qu’elles échangent, ils ne sont rien moins que doux. Écoutons-les plutôt.

— Eh bien ! Anifé, dit la première d’un ton de compassion dédaigneuse, la chose est décidée. Ce n’est pas ta mère qui sera la maîtresse ici. Cela doit bien te contrarier ?

— Y penses-tu, Sarah ? réplique Anifé indignée. Ne dirait-on pas, à t’entendre, que cette maison est la plus belle du monde ? Ma mère est née à Constantinople, et elle n’est venue dans ce village que par amour pour notre père à toutes deux, Mustapha-Bey. Maintenant