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qui, sous des aspects divers, — en Prusse, en Autriche et dans les états secondaires, — paraît devoir servir la cause des idées libérales aussi bien que celle des intérêts matériels. La politique extérieure et intérieure de l’Allemagne est donc appelée, par les vœux même des populations, dans une voie nouvelle. C’est aux gouvernemens de l’y introduire et de l’y diriger. Pour la politique extérieure, s’ils veulent suivre ce mouvement de l’opinion, leur premier devoir est de ne pas se séparer de l’Occident. Les traditions de l’Allemagne, l’intérêt du présent et de l’avenir lui marquent sa place dans cette société romano-germanique dont elle a été la souche à l’origine des nations modernes, et dont elle est toujours un membre si considérable. On ne lui demande pas de s’appuyer sur la France et l’Angleterre ; on lui demande de rester elle-même et de reprendre une position qu’elle n’aurait jamais dû abandonner. La guerre d’Orient a montré quel rôle elle jouerait aujourd’hui, si elle était demeurée fidèle au rôle que lui assigne l’histoire. Sur ce point, l’accord semble facile entre les gouvernemens, car il est déjà établi dans les pensées des peuples. Pour la politique intérieure, les questions peuvent varier suivant qu’on se place en Prusse, en Autriche ou dans les états secondaires. En Prusse, c’est le parti féodal qu’il s’agit de combattre. En Autriche, c’est une activité un peu aventureuse qu’il faut discipliner. Dans les états secondaires, c’est une alliance plus étroite qu’il faut réaliser, et l’on y réussira surtout à l’aide d’un organe politique défenseur de tous les droits et gardien de l’unité. Mais si les questions varient, les intérêts sont les mêmes. Partout il est urgent de mettre un terme à la révolte de l’aristocratie contre le tiers-état, du privilège contre le droit commun, de l’esprit du moyen âge contre l’esprit moderne. Partout en effet où une aristocratie infatuée a paralysé le sentiment national, les peuples allemands ont vu les conséquences de cette politique funeste. L’exemple de la Prusse est un avertissement qui n’a pas besoin de commentaires. On peut donc, sans trop d’illusion, reprendre confiance dans l’avenir de ce pays. La carrière qui s’ouvre pour l’Allemagne ne saurait ressembler à la période qui vient de finir ; plus de troubles anarchiques, plus de prétextes pour se rejeter violemment en arrière, et en même temps la Russie, dépouillée de son prestige, ne peut plus essayer sur les esprits son action subtile et dissolvante. Une situation calme, une atmosphère purifiée où chaque chose se montre sous son vrai jour, voilà ce que la paix apporte, et l’un des premiers symptômes de l’ère meilleure que nous entrevoyons, c’est le réveil, désormais certain, de la conscience populaire.


SAINT-RENE TAILLANDIER.