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du gouvernement, et de les déférer, s’il y a lieu, au jugement de la diète ; cette commission, en l’absence des chambres, est la gardienne du droit public. Or, en l’absence d’un parlement national, où sera la commission des peuples germaniques ? A la place de l’impossible unité du nord et du midi, qui exprimera publiquement l’unité des principes ? C’est le devoir de la presse ; mais la presse en Allemagne n’a jamais eu qu’une influence locale. Les journaux qu’on lit le plus à Berlin ne sont guère répandus à Vienne ou à Munich. Chaque ville a ses journaux, et souvent des journaux animés d’un excellent esprit, rédigés avec un vrai talent ; pourquoi faut-il qu’on ne les connaisse pas hors de la ville ou de la province ? Que de bonnes inspirations perdues ! que d’échanges interdits ! Je me trompe : il y a un organe qui depuis deux tiers de siècle s’est efforcé d’être le lien de toutes ces feuilles éparses, il y a une tribune de publicistes d’où l’on a toujours eu l’ambition de parler à l’Allemagne et au monde. Le fondateur de ce journal était un libraire justement célèbre, M. Cotta. On comprend que je parle de la Gazette universelle (Allgemeine Zeitung), connue en France et en Europe sous le nom de Gazette d’Augsbourg. Par le lieu de sa publication et l’esprit qui l’anime, cette feuille appartient au tableau des états secondaires. Tous les esprits libéraux, et même les démocrates modérés, se rattachent à la Gazette d’Augsbourg, parce qu’elle seule aujourd’hui représente l’unité de la pensée allemande. Si la Gazette d’Augsbourg comprend et accomplit la tâche qui lui est dévolue par la conscience publique, elle deviendra, s’il est permis de le dire, une sorte d’institution nationale[1]. Elle peut-être, intellectuellement du moins,

  1. La Gazette universelle a traversé sans doute des destinées bien diverses depuis 89. Établi d’abord à Tubingue sous ce titre naïf, les Nouvelles les plus récentes du monde, transporté ensuite à Stuttgart sous le titre qu’il porte aujourd’hui, installé enfin dans sa paisible solitude d’Augsbourg, le journal de M. Cotta a pris part à toutes les discussions qu’ont soulevées en Europe les grandes péripéties de notre âge. Quel journal oserait se flatter de n’avoir pas commis d’erreurs au milieu d’une période si bien remplie ? Je crois pouvoir dire du moins que, pour tout ce qui concerne la politique intérieure de l’Allemagne, la Gazette universelle a toujours obéi à des inspirations généreuses, et si j’ai eu raison de signaler les progrès de l’esprit public depuis quelques années, c’est à elle surtout que profitera cette direction nouvelle. J’ai pu, en maintes rencontres, combattre sa politique, j’ai eu et je garde encore des doutes sur tel ou tel point de détail, sur les informations et les principes de tel ou tel correspondant ; un journal qui publie chaque matin des lettres envoyées de tous les points du globe n’est-il pas exposé à de singulières contradictions ? On doit reconnaître toutefois qu’une pensée élevée dirige la rédaction centrale. Les publicistes réunis à Augsbourg sont des hommes dévoués à leur pays. Le chef qui les préside, M. Gustave Kolb, est un esprit et un cœur d’élite qui a su inspirer à ses collaborateurs une confiance sans réserve. Les principes de M. Kolb, du moins pour toutes les affaires intérieures, peuvent se résumer ainsi : « Nous sommes libéraux, nous voulons le progrès de la liberté en Allemagne ; c’est pourquoi nous nous défions avant tout de la démagogie. Les gens qui vocifèrent au nom de la liberté sont bien sûrs de n’être entendus qu’en bas ; nous au contraire, nous voulons parler aux souverains, aux ministres, aux personnages éminens, à tous ceux qui règlent les destinées du pays. Que vous le vouliez ou non, les choses sont ainsi : pendant longtemps encore, c’est par en haut que seront accomplies les réformes. Républicains ou monarchistes, tenons donc compte de la réalité, acceptons l’Allemagne telle qu’elle est, et tâchons d’y propager les principes qui la régénéreront peu à peu. Il y a souvent dans nos colonnes tel article officiel qui n’a d’autre but que de couvrir l’article sérieux, l’article libéral et bienfaisant que liront trente souverains. Nous ne sommes pas pour la Prusse contre l’Autriche, pour l’Autriche contre les états secondaires ; nous sommes dévoués à tous les intérêts germaniques… » Quand on voit de tels principes proclamés dans le plus important des journaux allemands, on peut bien oublier quelques dissentimens de détail.