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n’est peut-être pas dans tous les rangs de la société de Munich un homme plus isolé que le président du conseil. Le souverain, son ami naguère, n’a plus avec lui que des rapports officiels ; la noblesse se sert de lui, mais se garde bien de lui ouvrir ses salons ; le monde littéraire d’où il est sorti, ce monde spirituel et brillant qui entoure Maximilien II, ne connaît pas M. de Pfordten. Ses amis avaient conçu pour lui une destinée bien différente. Avec des antécédens comme les siens, avec une jeunesse si studieuse, des triomphes si éclatans, un si merveilleux talent de parole, quel rôle il aurait pu jouer, s’il avait voulu être un ministre et non un homme d’affaires ! C’est la manie de l’habileté qui l’a perdu. Plus simple, plus naïf, si l’on veut, et loyalement fidèle à son programme des premiers jours, il aurait dans sa main ce même pouvoir auquel il a sacrifié ses principes, et il en pourrait faire un usage bien autrement efficace. Qu’a-t-il produit en effet ? Le contraire de ce qu’il avait annoncé si haut. Il a neutralisé les partis l’un par l’autre, il les a tous servis, tous trompés tour à tour ; mais il n’a pas su, comme le prince de Schwarzenberg en Autriche, devenir le promoteur d’une rénovation nationale, et l’homme qui prendra un jour sa place retrouvera les esprits aussi divisés qu’au lendemain des crises de 1848. Ce successeur appartiendra-t-il au parti qui regrette le moyen âge ? Cette conjecture est permise. Quand un homme tel que M. de Pfordten travaille pour la réaction féodale, il travaille à se rendre inutile. M. de Pfordten, avec toutes ses finesses d’avocat, n’a pas songé à ce dénoûment.

Voilà de tristes détails, il faut l’avouer, et toutefois la présence du souverain nous rassure. Le Berlinois qui me disait : Vous serez content de Munich ! avait raison de parler ainsi. Les esprits sérieux qui déplorent la conduite de M. de Pfordten sont les premiers à honorer l’inspiration libérale et humaine de Maximilien II. Nous ferons comme eux, et tant que nous verrons sur le trône un souverain qu’animent les intentions les plus droites, entouré de l’élite intellectuelle du pays, nous ne désespérerons pas de la Bavière.

J’en dirai autant de la cour de Dresde. Si M. de Pfordten, malgré son origine démocratique, a pu céder à la pression des préjugés aristocratiques, personne ne s’étonnera que M. de Beust ait secondé aussi dans ces derniers temps le parti qui veut faire disparaître les plus légitimes conquêtes de 1848. M. de Beust a succédé le 24 février 1849 au ministère où siégeait M. de Pfordten ; il a fait partie d’une administration résolue dès le premier jour à repousser le flot montant de la démocratie. Ce ministère a lutté avec ardeur, et après de dramatiques péripéties, aidé par la réaction générale de l’Europe, il a fini par triompher ; on lui saurait gré aujourd’hui de ne pas confondre les factions anarchiques avec ce tiers-état libéral, honnête, laborieux, qui est la force de l’Allemagne, et dont l’avènement régulier