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par sa colère contre la Prusse, consacrait dans la Hesse électorale l’odieuse iniquité dont j’ai parlé plus haut. Se faire dans une telle circonstance l’auxiliaire et l’instrument de l’Autriche, c’était donner un étrange démenti à son programme. L’influence de M. de Pfordten en reçut une grave atteinte. On se rappela ses origines démocratiques, on commença à se défier de ses promesses, et l’on pressentit déjà le rôle si fâcheux qu’il allait jouer dans la politique intérieure. Bientôt cependant, surtout après la mort du prince de Schwarzenberg, M. de Pfordten reprit une attitude plus libre vis-à-vis du cabinet de Vienne. Il revint à son programme et l’exécuta avec une certaine résolution. D’importans résultats furent obtenus, cela est incontestable. La Prusse et l’Autriche ne pouvaient plus faire entendre une voix impérieuse dans les délibérations de la diète ; elles avaient en face d’elles une troisième Allemagne bien décidée à maintenir ses droits. Les conférences de Dresde en 1851, la coalition de Darmstadt en 1852, attestèrent hautement les résultats obtenus par l’énergique habileté des deux ministres saxon et bavarois. Or M. de Beust et M. de Pfordten venaient à peine de remporter cette victoire, quand la guerre de Crimée éclata. Ce fut là l’écueil des deux ministres. Le parti russe, toujours prêt à exploiter les divisions de l’Allemagne, fit à Munich et à Dresde ce qu’il faisait en Grèce, en Bohême, en Hongrie, dans les principautés danubiennes, partout enfin où il y avait des antipathies nationales à mettre en jeu ; il représentait le gouvernement de Saint-Pétersbourg comme l’appui naturel du faible contre le fort. — Votre soutien contre la Prusse et l’Autriche, disaient les diplomates russes à M. de Beust, c’est le tsar. — Déjà mécontent de l’Autriche, mécontent même de la Prusse, qui blâmait ses prétentions sans oser les combattre, l’empereur Nicolas multipliait les séductions auprès des cabinets de Dresde et de Munich. C’était lui qui serait le médiateur, c’était lui qui protégerait l’indépendance des états secondaires de l’Allemagne. Entraînés par leur politique antérieure et impatiens d’en consolider le succès, les deux ministres n’écoutèrent que trop facilement ces conseils. Les agens officiels de la Russie n’étaient pas d’ailleurs les seuls à leur faire entendre ce langage ; la cour, les princes, l’aristocratie féodale et militaire, exerçaient sur eux une influence irrésistible. C’est ainsi qu’au moment où l’Autriche se séparait nettement de la Russie, au moment où la Prusse semblait s’unir à l’Autriche par le traité du 20 avril 1854, les états secondaires, représentés aux conférences de Bamberg, organisaient une neutralité armée, manifestement favorable à la Russie.

Ce fut là certes une grande faute de la part de M. de Beust et de M. de Pfordten. Heureusement tout n’est pas perdu. La leçon des événemens profitera aux cabinets de Dresde et de Munich. L’influence de la Russie a reçu un grave échec ; les hommes d’état qui aiment