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raiera pas la Prusse de la carte d’Europe, elle n’effacera pas l’esprit, les principes, les traditions que représente la monarchie de Frédéric le Grand ; au contraire elle ranimera la vie autour d’elle, et produira peut-être chez sa rivale une généreuse émulation.


III

Si l’on ne jugeait les états secondaires de l’Allemagne que d’après leur conduite dans les affaires d’Orient, on serait obligé de leur faire entendre un langage sévère. Mettez à part le grand-duché de Bade, surtout le duché de Saxe-Cobourg-Gotha, qui n’ont pas dissimulé leurs sympathies pour les puissances occidentales : tous les autres gouvernemens faisaient des vœux pour nos ennemis. À Dresde et à Munich, à Stuttgart et à Hanovre, les cabinets étaient enveloppés par les influences russes au moins autant que le cabinet de Berlin, et ils n’essayaient même pas de résister comme M. de Manteuffel. On sait que la Bavière et la Saxe dominent ce groupe d’états inférieurs qui, en face de l’Autriche et de la Prusse, forment pour ainsi dire une troisième Allemagne. Deux ministres, M. le baron de Beust à Dresde et M. de Pfordten à Munich, avaient pris parti contre nous dès le commencement de la lutte, et entraînaient sans peine dans cette malheureuse voie les états de cinquième et de sixième ordre. On peut affirmer que sous l’action de ces deux hommes, et contrairement au vœu manifeste des populations, il y a eu pendant deux ou trois ans une sorte de petite Russie au milieu même de la race germanique.

M. le baron Frédéric-Ferdinand de Beust est un homme de quarante-sept ans, dans toute la force et l’audace de ses facultés brillantes. C’est un esprit d’élite, actif, résolu, sérieusement dévoué à son pays, mais qui ne se défie pas assez de son ardeur. Au milieu des crises qui agitèrent l’Allemagne pendant la dernière période du parlement de Francfort, lorsque la Prusse et l’Autriche, se disputant l’hégémonie, semblaient disposer à leur gré du groupe des états secondaires, M. de Beust, nommé par le roi de Saxe ministre des affaires étrangères le 24 février 1849, annonça hautement le projet de maintenir le fédéralisme contre les prétentions des Habsbourg et des Hohenzollern. C’était le temps où le ministre des affaires étrangères du royaume de Bavière, M. de Pfordten, parvenu à ce poste après de bien singulières péripéties, arborait le même drapeau à Munich. M. de Pfordten, démocrate avant 1848, avait joué un rôle dans la révolution ; promptement converti à la monarchie constitutionnelle, il n’avait pas encore rompu avec les libéraux. Spirituel, plein de ressources, doué d’un rare talent de parole, M. de Pfordten