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de l’abstraction, elle la redoute aujourd’hui comme une ennemie mortelle. L’Allemagne veut agir ; les hommes qui l’aideront à atteindre ce but seront les chefs des générations qui se lèvent. Le commerce, l’industrie, c’est l’action ; c’est du moins un moyen sûr d’éveiller chez nous l’esprit d’initiative, je dirais volontiers l’esprit anglo-saxon, cet esprit net, sensé, intrépidement pratique, dont notre chère Allemagne a tant besoin pour se régénérer. Abandonnons nos cabinets d’étude pour nous retremper au grand air. Un savant historien, Gervinus, ne nous a-t-il pas donné ce conseil sur tous les tons ? C’est l’Autriche, encore une fois, qui ouvre le marché le plus vaste à l’esprit nouveau qui s’éveille. Attachons-nous à la monarchie autrichienne, c’est par elle que nous relèverons l’Allemagne. »

Certes, pour que de telles paroles soient prononcées à Berlin, il faut que l’humiliation du patriotisme prussien soit bien profonde. J’applaudis à ce besoin d’agir, j’approuve et j’aime cette généreuse ardeur ; il est trop évident toutefois que l’activité matérielle n’est pas le seul remède aux défaillances de la pensée publique. Il est une autre forme d’action que celle de l’industrie et du commerce ; l’esprit aussi a une vie qui lui est propre, et le marché de l’intelligence n’est pas moins riche que l’autre. En face de la philosophie du vide, qui énerve l’âme et l’endort, il y a la philosophie de la réalité, celle qui ne se sépare pas du monde, qui le voit et l’étudie tel qu’il est, et qui prépare les intelligences à des conquêtes utiles. Je ne puis croire que la Prusse oublie jamais ce qui fait sa mission dans le monde, et si elle s’abandonnait à ce point, les audacieuses prétentions de sa rivale la rappelleraient bientôt à elle-même. Une discussion théologique s’est ouverte, il y a déjà quelques mois, entre M. Stahl et M. de Bunsen ; le moment n’est pas venu d’en parler, puisqu’on attend encore une réplique de M. de Bunsen et un ouvrage de M. l’archevêque de Breslau, qui doit intervenir dans la lutte au nom des intérêts catholiques ; j’emprunterai seulement à ce solennel débat un détail bien significatif, et qui se rapporte à mon sujet. Un ancien diplomate autrichien a cru devoir se mêler à la controverse avec une brochure qui porte ce titre : le Concordat autrichien et M. le chevalier de Bunsen. Après force injures contre M. de Bunsen, le diplomate, ou soi-disant tel, entonne un hymne à la gloire du concordat, et prédit que son influence s’étendra bientôt sur l’Allemagne tout entière. « L’empereur a parlé, s’écrie-t-il, et lorsque l’empereur parle, les margraves le suivent ! » Le margrave, vous le connaissez, c’est Frédéric-Guillaume IV. Cette parole doit être signalée et aux partis insensés qui ont conduit la Prusse où elle est, et aux esprits libéraux qui paraissent disposés à perdre toute, confiance dans