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a déclaré, sans le vouloir, qu’il tenait peu à la dignité de cette église dont il s’est fait le champion, et que l’exaltation piétiste n’est pour lui qu’un moyen de gouvernement et de police, instrumentum regni

Que faisait le roi au milieu des partis qui divisaient son royaume ? Son embarras devait être grand, car ces deux partis se composaient d’hommes qui se disaient également ses amis. D’un côté, c’était un des écrivains avec lesquels son esprit avait le plus de sympathies ; c’était une âme élevée, une docte et pieuse intelligence, M. le chevalier de Bunsen, et auprès de lui des hommes tels que M. de Hinckeldey, sauveur de la monarchie prussienne en 1848, le vieux général de Bonin, illustré par ses brillans services dans la guerre de 1813, bien d’autres encore, moins connus sans doute, mais qui occupaient avec dévouement et honneur tous les degrés de l’administration civile. De l’autre côté, c’était ce parti féodal qui a, dit-on, un chef des plus turbulens sur les marches du trône, je veux dire le neveu même du roi, le fils de sa sœur Alexandrine, le prince Guillaume de Mecklembourg ; c’étaient surtout les conseillers occultes, le comte Dohna, le général Léopold de Gerlach, et, à quelque distance, les représentans du parti à la tribune ou dans la presse, — M. Louis de Gerlach, frère aîné du général, et M. Stahl.

Je voudrais ne rien dire qui diminuât le respect dû à une personne souveraine ; mais pourra-t-on jamais écrire l’histoire de la Prusse au XIXe siècle sans signaler la funeste indécision de Frédéric-Guillaume IV ? Le roi hésitait donc entre ses plus dévoués serviteurs et cette réaction insensée qui rêvait le retour du XIIIe siècle. Livré à lui-même, éclairé par la nécessité, il serait peut-être parvenu à écarter les fantaisies de son imagination ; l’homme d’état aurait peut-être triomphé de l’archéologue, et on l’eût vu se prononcer enfin pour le parti du droit commun et des réformes libérales : la guerre de Crimée, en excitant ses appréhensions et ses défiances, le rejeta violemment de l’autre côté. Frédéric-Guillaume ne comprit pas la politique de la France ; bien qu’il désapprouvât au fond de l’âme les prétentions de son beau-frère le tsar Nicolas, bien qu’il eût essayé d’abord de faire entendre de sages représentations dans les conseils de Saint-Pétersbourg, il ne fut pas difficile de lui inspirer de vives alarmes sur l’alliance que lui offraient la France et l’Angleterre. Il se dit qu’il allait être exposé le premier aux coups de la Russie, que le tsar, pour se venger de ses défaites en Crimée, n’attendait que l’occasion de prendre une éclatante revanche à Berlin. À dater de ce moment, le parti féodal, qui est en même temps le parti moscovite, s’empara de l’imagination du roi ; M. le comte Dohna, M. le général de Gerlach, M. Stahl étaient assurés de la victoire, et les fonctionnaires qui s’efforçaient de faire prévaloir une politique contraire