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l’Allemagne à l’autre, quelle confiance dans la Prusse ! comme tous les esprits libéraux étaient tournés vers elle ! Que de pétitions même, pétitions ardentes et impérieuses, on lui adressait sans cesse au nom du peuple allemand ! Tandis que l’Autriche, endormie dans l’insouciance et les plaisirs, ne représentait plus que le passé, la Prusse était chargée des intérêts du présent et des espérances de l’avenir. On lui demandait maintes choses impossibles : on exigeait qu’elle constituât l’unité allemande, et bien avant que le parlement de Francfort donnât à ce vœu des esprits sa consécration officielle, une sorte de consentement tacite et unanime décernait à la Prusse la couronne impériale. C’est surtout à l’avènement de Frédéric-Guillaume IV qu’on vit éclater ces exigences. Pendant les dernières années du vieux roi, la vénération qu’inspiraient son âge et ses malheurs avait été un frein pour les esprits ; en face du nouveau souverain, ce mouvement national fit explosion de toutes parts. Chimères ! dira-t-on. Oui, sans doute, ces pétitions de patriotisme, le plus grand nombre au moins, ne pouvaient raisonnablement aller à leur adresse ; mais le sentiment qui les dictait, l’appellera-t-on aussi une chimère ? C’était la reconnaissance la plus complète, la plus éclatante, de la suprématie acquise à la Prusse au sein de la famille germanique. Jamais roi n’est monté sur le trône au milieu d’un pareil cortège d’acclamations et d’espérances. L’héritier de Frédéric-Guillaume III parut accepter avec joie cette situation nouvelle, et malgré la défiance de quelques esprits chagrins ou clairvoyans, la brillante rhétorique du souverain enthousiasmait les cœurs. Qui ne se rappelle ces solennelles harangues de 1840 ? qui a oublié ces paroles enivrantes, ces promesses de gloire et de liberté ? En 1848 encore, il lui suffisait de jeter au peuple quelques mots heureux pour triompher des passions. Je serai le roi allemand ! disait-il en face des barricades de mars, et la ville insurgée rentrait dans l’ordre.

Combien tout est changé à l’heure qu’il est ! A voir la Prusse d’aujourd’hui, on ne soupçonnerait guère ce qu’elle fut il y a seize ans. L’Allemagne semble éprouver à son égard une méfiance qui va parfois jusqu’à l’injustice, et la Prusse elle-même offre à l’observateur impartial bien des symptômes de découragement. On dirait que sa juste fierté l’abandonne, et que, dans sa lassitude, elle en est venue à douter de sa mission. Hâtons-nous d’ajouter que le mal n’est pas irréparable. La faute de quelques hommes n’est pas la faute de tout un peuple. Malgré les influences fatales qui pèsent sur ce pays, la Prusse contient trop de ressources, elle a derrière elle une histoire trop glorieuse, des traditions trop vivaces, elle est gouvernée par un souverain trop éclairé et trop loyal, pour qu’elle ne reprenne pas un jour le rang qui lui appartient en Allemagne. Je ne me résoudrais