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crètes pensées des nations allemandes. À Vienne et à Berlin, à Munich et à Dresde, tous les yeux étaient tournés vers Paris. Au milieu de l’attente universelle, les préoccupations publiques se manifestaient sans détour. Condamnée, par la politique irrésolue de ses gouvernemens, à une neutralité qui la faisait déchoir, l’Allemagne ne dissimulait pas sa tristesse. Toutes les paroles en un tel moment avaient une signification plus expressive ; regrets et sympathies, récriminations amères et douloureuses inquiétudes, tous les sentimens se produisaient en liberté. J’ai vu, au midi et au nord, l’élite intellectuelle de ce grand pays ; je me suis entretenu avec la plupart des hommes qui reflètent ou qui dirigent l’opinion nationale. À Berlin, au milieu des humiliations et des douleurs d’un grand peuple ; à Vienne, où quelques ministres éminens poursuivent sans fracas les réformes de 1848, et inspirent à l’esprit public, malgré de fâcheux symptômes de réaction, une sorte de joyeuse confiance dans l’avenir ; à Dresde, à Leipzig, à Munich, où se déploient aujourd’hui, sous une administration paternelle, les meilleures forces littéraires du pays ; à Augsbourg, où de laborieux publicistes, enfermés dans leur couvent comme des bénédictins, dépouillent chaque jour une correspondance venue des points les plus éloignés du globe, et font pénétrer en Allemagne, à travers mille difficultés, et sous des conditions qui leur pèsent, tout ce que les gouvernemens peuvent supporter de pensées libérales et de paroles bienfaisantes ; — dans toutes ces villes, dans tous ces foyers de l’opinion, sans parler des autres cités secondaires, j’ai reçu des confidences, j’ai recueilli des symptômes, j’ai vu s’ouvrir à moi des âmes à qui la grandeur des circonstances arrachait leurs secrets.

Tous les états de l’Allemagne, on le sait trop, n’ont pas joué le même rôle dans la crise que vient de traverser la société européenne. La rivalité de la Prusse et de l’Autriche, qui se produit sans cesse au sein des affaires intérieures, a reparu alors sur un plus grand théâtre. Ce continuel antagonisme du midi et du nord trace une direction naturelle à notre étude. Malgré nos sympathies pour tous les nobles cœurs, pour tous les esprits élevés et généreux qui honorent la race germanique, du Rhin jusqu’au Danube et de la Baltique aux Alpes ; malgré notre désir de ne froisser aucun patriotisme, de ne faire saigner aucune blessure, nous sommes bien obligé de comparer entre eux les différens états qui se disputent la prééminence en Allemagne. Un dédommagement de cette division funeste qui vient de réduire à l’immobilité une nation de quarante millions de citoyens, c’est que la vie intellectuelle et morale y circule dans le corps tout entier. Point de capitale qui absorbe tout, point de centralisation oppressive qui dessèche les extrémités : la suprématie au contraire